Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


10 juillet 1759 (1) : Lalande (Paris) écrit à Fréron :
Lettre de M. de la Lande [Lalande], de l'Académie royale des sciences, à M. Fréron

Tous ceux qui ont parlé du travail de M. Clairaut sur la comète de 1759, ont remarqué que le passage de cette comète par le périhélie avait précédé d'un mois le temps pour lequel il l'avait annoncé. Quoi que cette remarque soit vraie, si quelques personnes paraissent l'avoir faite avec une certaine complaisance, c'en est assez, ce me semble, pour déceler leurs véritables sentiments, et pour mettre en garde contre eux ceux qui veulent juger sainement du mérite et des succès de ces sublimes recherches.

Mais il s'est trouvé, Monsieur, des personnes [cf. [c. mai] 1759 (2)], la lettre du Journal encylopédique (cf. [c. 15 juillet] 1759) ne devait pas être encore parue] qui, sous les dehors de l'impartialité, ont accompagné cette réflexion d'un raisonnement captieux et injuste : il y a un mois d'erreur, dit-on, sur un retardement qui ne s'est trouvé que de dix-neuf mois ; c'est une erreur de la dix-neuvième partie du total ; il semble qu'on ait voulu la comparer à celle d'un homme qui mesurant grossièrement une longueur de 18 pieds, la trouverait de 19. Tels sont les détours que l'on prend pour déprimer les travaux dignes de toute notre admiration et de toute notre reconnaissance ; mais une légère attention sur la nature de l'ouvrage décèlera le faux de ce raisonnement.

Les 19 mois de retardement sont la différence entre les actions de Jupiter et de Saturne sur la comète, dans les 75 ans de la période précédente, et leurs actions dans les 76 ans de la dernière période ; si l'on demande ce que ces planètes ont fait cette fois-ci pour rendre le mouvement de la comète plus prompt ou plus tardif que la dernière fois, il faut savoir ce qu'ils ont produit dans l'une et dans l'autre, et c'est la différence des deux que nous prendrons pour résultat ; ces 19 mois sont, par conséquent, le produit d'un effet continué sans interruption pendant 151 ans, et le dernier résultats des calculs faits pour tout ce temps là.

Il suffirait qu'un seul jour (si cela était possible) sur les 151 ans contînt une erreur de calcul, un défaut dans la méthode, ou une méprise dans son application, pour qu'on trouvât la plus courte une période qu'on aurait jugé sans cela devoir être la plus longue, et par conséquent, pour convertir un retardement en une accélération ; c'est donc un effet de 151 ans que M. Clairaut a calculé, et sur lequel il est en excès de 30 jours, c'est-à-dire d'environ la trois millième partie.

Me permettrait-on une comparaison triviale, qui néanmoins répond assez bien à ce que j'ai en vue de rendre ? On demande combien Saint-Cloud est plus éloigné de Paris que ne l'est Saint-Denis ; on mesure la distance du Pont-Neuf à Saint-Denis ; elle se trouve de 4 300 toises ; on mesure ensuite celle du Pont-Neuf à Saint-Cloud ; on la trouve de 4 700 toises ; d'où l'on conclut que la seconde distance surpasse de 400 toises la première. Supposons qu'il y en eût véritablement 401, dirait-on que l'observateur s'est trompé d'une toise sur 400 ? Ce serait l'accuser d'avoir opéré grossièrement ; mais si l'on dit qu'il a mesuré 9 000 toises et qu'il s'est trouvé une erreur d'une seule, je crois qu'on aura parlé d'une manière équitable. C'est donc faire un sophisme que de comparer les 30 jours dont la théorie est en défaut avec l'accélération d'une période sur l'autre, tandis qu'ils appartiennent aux périodes mêmes, qui prises, chacune dans son entier, et retranchées l'une de l'autre, ont produit les 19 mois dont ces 30 jours font partie, et il suffisait de 15 jours d'erreur sur chacune pour produire un mois d'erreur sur leur différence.

Reconnaissons, au contraire, que l'accord des calculs de M. Clairaut avec la théorie doit paraître surprenant aux personnes désintéressées et instruites, parce que tous les effets que nous pouvons imaginer (soit la résistance de l'éther, soit l'attraction des autres corps célestes) qui n'ont pu être calculés, quelque inappréciables qu'ils soient d'ailleurs, doivent se multiplier d'une manière sensible lorsqu'ils sont continués pendant 151 ans, et parce que l'on néglige dans ces approximations un multitude de termes que l'on ne pourrait discuter sans y passer sa vie.

Je suis, etc.

À Paris, ce 10 juillet 1759 (Année littéraire, 1759, vol. 4, pp. 240-243).
Clairaut répondra aux critiques de son côté dans C. 49 (cf. 11 août 1759 (1)).
Abréviation
  • C. 49 : Clairaut (Alexis-Claude), Réponse de M. Clairaut à quelques pièces la plupart anonymes dans lesquelles on a attaqué le mémoire sur la comète de 1682 lu à l'assemblée publique de l'Académie des sciences du 14 [sic] novembre 1758, Paris, impr. M. Lambert, 1759, 22 p [11 août 1759 (1)] [29 juillet 1739 (2)] [6 décembre 1750 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 10 juillet 1759 (1) : Lalande (Paris) écrit à Fréron », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n10juillet1759po1pf.html [Notice publiée le 27 août 2007].