Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


16 juin 1756 (3) : Clairaut rapporteur :
M[essieu]rs Bouguer et Clairaut ont parlé ainsi du mémoire de M[onsieu]r de Borda sur le jet des bombes.

Nous avons examiné par ordre de l'Académie [cf. 29 mai 1756 (1)] un memoire de M. de Bordat dans lequel il s'est proposé de donner les regles de l'art de jetter les bombes, non comme dans les traités ordinaires d'artilerie ; en supposant que la bombe se meuve dans le vuide, mais en aiant egard à la resistance de l'air.

Ceux qui sont au fait de la matiere savent que la determination de la courbe décrite par le projectile qui n'est qu'un problème très commun dans le premier cas en devient un des plus difficiles à resoudre dans le 2[n]d ; que l'illustre Newton n'en a point donné de solution complete, quoi qu'il ait traité la question avec assez de detail, et qu'il ait jetté tous les fondemens de la theorie des mouvemens dans les milieux resistans ; que le celèbre Jean Bernoulli s'est acquis beaucoup d'honneur en resolvant le premier ce problème ; et qu'enfin le savant M. Euler qui sait trouver tant de ressources nouvelles pour la resolution des questions les plus difficiles n'a pas dedaigné de publier une solution du meme problême qui semble n'être que le detail de celle dont M. Bernoulli s'étoit contenté de donner le resultat, y joignant a la verité tout le travail qui pouvoit la rendre propre à la pratique.

Si de si graves geometres ont marqué par leurs efforts sur cette matière l'importance dont ils la jugeoient, ne doit on pas savoir beaucoup de gré à M. de Bordat d'avoir resolu le même problême qu'eux par une voie toute neuve, plus élegante et plus aisée à mètre en pratique que celles qui l'avoient precedés.

Il commence par determiner de la maniere qui semble la plus courte qu'il soit possible l'equation differentiele de la courbe cherchée. Il en sépare ensuite les indeterminées au moien de la substitution si connue et si simple d'une nouvelle variable a la place de dy/dx ou de la tangente de l'amplitude de l'axe.

Il abandonne ensuite les 2 équations qui en resulteroient et qui lui donneroient la construcon. de la courbe par une methode semblable à celle de MM. Bernouilli et Euler pour en donner une nouvelle plus commode par laquelle il a directement la valeur de l'ordonnée y en x.

Cette methode qui consiste à supposer que la courbe cherchée soit du genre des lignes paraboliques exprimées par l'équation generale y=py+qx2+rx3+sx4+etc. et à en determiner les coefficiens au moien de l'équation differentielle donnée, a cet avantage qu'elle donne pour les premiers termes ceux qui exprimeroient la parabole décrite dans le vuide, et que les autres termes sont les corrections que cette ligne doit subir dans le plein.

Elle est peut être, comme on l'imagine bien qu'une approximation, et suppose pour en être une réellement que les coefficients S, T, V, qui suivent les premiers aillent en décroissant jusqu'à l'infini, avec une rapidité assez considerable pour dompte l'acroissement prodigieux des puissances de x qui composent les corrections successives de la valeur de y.

C'est ce que l'on reconnoit leur arriver en effet en suivant le calcul aussi loin que la question le demande et ce qui est attaché aux circonstances du problême qui rendent le coefficient de la resistance assez petit pour produire les decroissances dont nous venons de parler.

La methode que l'auteur a emploié pour determiner les coefficiens de l'équation parabolique est tres elegante. Au lieu de faire les substitutions penibles que donneroit la methode ordinaire des indeterminées, il emploie ces theorêmes si simples tirées de la nature de l'équation y=px+qx2+rx3+etc., que le coefficient p est le dy/dx au meme point rdy/6dx etc.

Une avantage considerable de cette solution, c'est qu'en égalant à zero la valeur de l'ordonnée y qui est seule d'un côté de l'équation [?] a tout de suite une équation entre l'abcisse qui lui repond, laquelle est la portée [?] de la bombe et une quantité p qui entre dans l'expression de y et qui n'est autre chose que le quarré de la vitesse divisé par la gravité. Or cette equation donne une maniere bien simple de construire des tables pour trouver les portées au moien de la charge et de la declinaison. M. de Bordat se propose de les construire en effet aussitot que des experiences auront confirmé l'hypothese de resistance qu'il a admise et qui est celle qu'on a regardé jusqu'à present comme la plus conforme à la nature, je veux dire celle qui rend la resistance proprtionelle aux quarrés des vitesses.

En supposant cette loi de resistance, et en determinant le coefficient du terme qui l'exprime d'après les experiences de Newton, M. Bordat a donné quelques exemples qui montrent des differences entre les portées calculées dans le vuide et dans le plein, qui sont assés considerable pour convaincre de la necessité des tables qu'il se propose de dresser.

Si c'étoit ici le lieu d'examiner la nature de la resistance de l'air, nous pourions faire remarquer que la proportion du quarré des vitesses qui paroît exprimer asez exactement la loi des resistances lorsque les vitesses ne sont pas beaucoup plus considerables que dans les experiences de Newton pourroient bien n'être plus la loi de la nature lorsque les projectiles ont l'enorme rapidité des bombes et des boulets de canon ; qu'il doit meme y avoir une augmentation sensible de resistance en vertu du vuide qui se fait derriere des corps qui sont lancés avec une plus grande vitesse que celle avec laquelle l'ai remplira un espace vuide.

Nous pourrions raporter aussi les recherches ingénieuses que MM. Robin et Darcy ont faites sur la partie physique de cette question. Mas toutes les considerations que demanderoit une matiere aussy delicate nous meneroient trop loin, et nous ecarteroient de l'objet présent de ce rapport. Il nous suffit de dire que M[onsieu]r de Bordat ne pouvoit traiter mathematiquement le problême proposé d'une maniere plus satisfaisante dans l'état actuel des choses, et que sa solution décorera tous les recueils dans lesquels on l'imprimera (PV 1756, pp. 354-358).

Gallica

Le mémoire avait été examiné en comité de librairie dès le 29 mai (cf. 29 mai 1756 (3)).

Le 30 juin 1756, Borda est choisi adjoint géomètre par une lettre de d'Argenson du 27 en remplacement de Deparcieux passé associé (PV 1756, p. 385).

Le mémoire, peut-être modifié entre temps, sera publié près de quinze ans plus tard (Borda 69) (Mascart 00).

Clairaut dit tout le bien qu'il pense de Borda à Jacquier et regrette que son ambition guerrière le fasse quitter Paris (cf. 24 juin 17[5]7).
Abréviations
  • HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
  • Mém. : Partie Mémoires de HARS 17..
  • PV : Procès-Verbaux, Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Références
  • Borda (Jean-Charles, chevalier de), « Sur la courbe décrite par les boulets et les bombes en ayant égard à la résistance de l'air », HARS 1769, Mém., pp. 247-271 [Télécharger] [29 mai 1756 (3)].
  • Mascart (Jean), La vie et les travaux de Charles de Borda (1733-1799), rééd., PUF, 2000 [17 octobre 1766 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 16 juin 1756 (3) : Clairaut rapporteur », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n16juin1756po3pf.html [Notice publiée le 10 février 2011].