Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


19 novembre 1742 (1) : Clairaut (Paris) écrit à MacLaurin :
Monsieur,

Il y a environ six semaines que j'ai reçu votre bel ouvrage sur les fluxions [(MacLaurin 42)]. Si en le devant à une extrême politesse de votre part, j'ai tant tardé à vous en remercier, c'est que j'ai cru devoir attendre que j'en eusse lu assez pour vous en parler avec quelque connaissance. Quoique jusqu'à présent, je n'aie pas eu à beaucoup près le temps qu'il faudrait avoir pour l'avoir lu entièrem[en]t, j'en ai assez vu pour savoir ce qu'il y a [à profiter] dans cet ouvrage. Tant de matières savantes y sont traitées, et avec tant de profondeur que ce livre peut passer sans contredit pour la plus belle collection des mathématiques supérieures que nous ayons.

Je ne me suis proposé dans cette lettre que de vous rendre compte des réflexions que m'ont fait faire vos recherches sur la figure de la Terre, parce que l'occupation que m'a donnée la fin de la composition de mon ouvrage [C. 29] et celle que me donne actuellement l'impression sont cause que je ne suis pas assez au fait du reste de votre livre pour vous en parler avec détail.

Je vous dirai d'abord que j'ai revu avec grand plaisir les propositions que j'avais déjà lues dans votre pièce sur le flux et le reflux [(MacLaurin 41)]. Elles m'ont paru encore mieux expliquées. C'est à mon avis un chef d'œuvre de synthèse que ces propositions là. Elles m'avaient fait tant de plaisir dès la lecture de votre pièce des prix que j'ai cru devoir le partager avec mes lecteurs, en leur donnant ces propositions le plus clairement qu'il me serait possible. Vous les retrouverez donc dans mon livre avec un ordre un peu différent qui m'a paru plus convenable au plan de mon ouvrage [C. 29, pp. 158 et suivantes]. D'ailleurs, j'ai rendu les solutions plus algébriq[ues] quand je l'ai pu, parce qu'en France on lit plus volontiers l'analyse que la synthèse. L'usage que je fais de vos propositions pour déterminer le vrai rapport des axes dans la supposition de l'homogénéité des planètes n'est pas le même que le vôtre, mais le fond des idées est toujours à vous, et je le reconnais dans une petite préface où je rends toute la justice que je dois à d'aussi belles recherches que les vôtres.

Quoi que j'aie trouvé de la plus grande beauté la proposition par laquelle vous déterminez l'attraction qu'éprouve un corpuscule placé sur l'axe ou sur un diamètre de l'équateur, je n'en ai point fait d'usage dans mon livre non plus que de votre détermination des attractions au pôle et à l'équateur d'un sphéroïde hétérogène, parce que ces propositions ne m'auraient pas servi dans la route que j'ai prise, qui est toujours à peu près la même que celle de ma pièce des Trans[actions] phil[osophiques] [C. 18] quoi que beaucoup perfectionnée.

La figure de la Terre que vous donnez dans la supposition qu'elle ne soit pas homogène m'a engagé à des calculs assez considérables, car ne m'accordant pas avec vous sur ce point. J'ai d'abord cru que ma méthode où je négligeais de certaines petites quantités [m]e trompait en ce qu'elle laissait trop accumuler de ces petites quantités. Pour m'en assurer, j'ai employer vos propositions à déterminer plus scrupuleusement le poids des deux colonnes qui répondent au pôle et à l'équateur, et j'ai fait ce calcul d'autant plus volontiers que je voulais savoir avec quel degré de précision on pouvait employer ma méthode. J'ai reconnu après l'avoir bien examiné que toutes les quantités que j'avais négligées étaient effectivement négligeables, et que la différence de nos résultats venait d'une autre cause. Cette cause est que vous supposez que la Terre ait été originairement fluide et composée de couche semblables, et qu'en conséquence pour avoir le poids de l'élément quelconque Qq d'une colonne CP, vous multipliez l'attraction en Q par Qq et par la densité au même lieu. Or je puis prouver à ce que je crois que si la Terre était toute fluide, elle ne serait point composée de couches semblables, mais que les couches les plus denses étant vers le centre comme l'hydraulique le demande, les courbes qu'affecteraient ces couches seraient toujours aplaties en approchant de la surface. Si on veut donc que la Terre soit composée d'orbes semblables, il faut les supposer solides et imaginer la surface PE couverte d'une lame d'eau infiniment mince. Alors l'équilibre de cette lame d'eau demande que tous les points cotés Mon soient coupés perpendiculairement par la direction de la pesanteur, ou, ce qui revient au même, que le tuyau ECP étant rempli d'une liqueur homogène dont les parties soient animées par l'attraction que cause le sphéroïde hétérogène soit en équilibre. Par ces deux voies et par plusieurs autres, j'ai toujours trouvé le même résultat et différent du vôtre par exemple dans le cas où vous donnez (art[icle] 674) pour la différence des axes [maths], je trouve [maths].

Quant à l'hypothèse que vous donnez pour concilier l'aplatissement de la Terre plus grand que 1/230 avec une différence de la pesanteur du pôle à l'équateur plus grande que 1/230, je n'ai pas pu m'accorder non plus avec vous sur ce sujet parce que votre calcul sur l'équilibre des colonnes Aa, Dd or suppos [!] que la Terre peut être arrangée comme vous le supposez. Il faudrait, si ma théorie est bonne, que la colonne Aa fut joint à la colonne Dd par un canal quelconque aed ou simplement par leur prolongement de, ac, et supposer toujours ces tuyaux entièrement remplis d'un liqueur homogène. Si au lieu de faire la courbe ad semblable à la courbe AD, on la rendait telle qu'en tous ses points elle fut coupée perpendiculairement par la direction de la pesanteur, alors l'équilibre des colonnes Aa, Dd suffirait [Clairaut a raison NDE].

Je profiterai avec bien du plaisir de ce que vous me manderez sur ces réflexions, soit pour me confirmer dans mon sentiment, soit pour m'en faire revenir. J'ai l'honneur d'être avec la plus grand vénération, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur Clairaut

Paris, 10 nov[embre] 1742 (MacLaurin 82, pp. 375-377).
La réponse à cette lettre est perdue.

C'est la dernière pièce connue de la correspondance entre les deux hommes.

Clairaut envoya probablement C. 29 à MacLaurin qui en retour le fit admettre à l'Académie d'Edinburgh (cf. 13 juin 1743 (2)).

Clairaut écrit une lettre similaire à Euler le 3 décembre (cf. 3 décembre 1742 (1)).
Abréviations
Références
Courcelle (Olivier), « 19 novembre 1742 (1) : Clairaut (Paris) écrit à MacLaurin », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n19novembre1742po1pf.html [Notice publiée le 28 juillet 2009].