Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


5 février 1752 (1) : Clairaut rapporteur :
M[essieu]rs Bouguer, Clairaut et de Parcieux ont fait le rapport suivant d'un ouvrage de Mons[ieu]r Duhamel sur la construction des vaisseaux [(Duhamel du Monceau 52)].

Nous avons éxaminé par ordre de l'Académie [cf. 6 mars 1751 (1)] un traité de M[onsieu]r Duhamel sur la construction des vaisseaux, qui est divisé en neuf chapitres, et qui est précédé d'une préface raisonnée contenant des réfléxions sur les opérations exposées dans le corps du livre. Nous allons faire l'analyse du [tout] en joignant ensemble les endroits relatifs du discours préliminaire et du traité.

M[onsieu]r Duhamel ne s'est pas contenté de rendre les pratiques de l'architecture navale plus faciles à apprendre, il a voulu augmenter les connoissances des constructeurs en même temps qu'il multiplioit le nombre des personnes instruites dans cet art. Le livre contient dans ses 9 chapitres les preceptes ou les conoissances de fait : Il forme les lecteurs dans la construction par des explications suivies et méthodiques qu'on ne trouveroit nulle autre part. Toutes les pratiques qui sont en usage dans nos ports, y sont non seulement exposées avec clarté, elles sont simplifiées et renduës plus régulieres. Mais nôtre auteur qui s'étoit borné le plus souvent dans le corps de son livre, à faciliter l'étude de l'architecture navale, ou à décéler réciproquement aux constructeurs les métodes secretes les uns des autres, balance dans son discours préliminaire les divers avis qui ne se présentent qu'en trop grand nombre dans cette matiere : Il s'éleve jusqu'à la métaphysique même de la chose, et il montre la source d'où doivent découler les vraïes : Il met de cette sorte entre les mains des constructeurs un flambeau qui doit continuellement les éclairer dans les routes que leur indiquoient leurs expériences trop grossieres, et il les rend capables de se décider entre les différentes opérations qu'ils employent souvent avec trop peu de choix.

Chaque partie du livre, si l'on y joint celle du discours préliminaire qui y a rapport, nous fournit des éxemples de ce que nous disons. M[onsieu]r D[uhamel] partage dans le premier chapitre les vaisseaux en differents rangs : Il explique toutes les differences qui doivent se trouver entre les navires de guerre, et ceux qui sont d'une autre espece. Lorsqu'il s'agit des premiers, il entre dans un dans un [!] détail nécessaire sur la distribution de leurs batteries, sur la grandeur des intervalles qu'on doit mettre entre leurs canons, sur la multitude de leurs ponts ou étages, etc. On trouve en même temps dans le discours préliminaire des réfléxions générales sur tous ces points importants dont on découvre la dépendance intime. Aussitôt qu'on ordonne la construction d'un vaisseau d'une certaine force, ou d'un nombre marqué de canons, tout le reste est comme déterminé. La force du navire est comme la quantité donnée : Cette seule condition exclut l'arbitraire de toutes les autres. On doit mettre un certain nombre de canons dans chaque batterie. La longueur du vaisseau se trouve reglée de même que le nombre de ponts, la largeur l'est aussi, et jusqu'à la capacité de la carene qui doit contenir plus ou moins de munitions, et qui doit outre cela être d'un certain volume, pour que l'eau puisse soûtenir le poids des choses spécifiées, et de toutes les autres, comme de la mâture, des a[pa?]reils, etc.

Le 1er chapitre nous présente comme une esquisse du navire : Les dimensions principales de l'édifice sont arrêtées. M[onsieu]r Duhamel traite ensuite des matériaux qu'on doit employer. Il fait le dénombrement de toutes les pieces de charpente dont la seule nomenclature est extremement etendue, il fixe l'échantillon de ces pieces, il explique la maniere de les tracer : C'est un détail continuel de pratique ; mais qui n'est pas suceptible d'extrait.

Les autres chapitres achevent ce que les premiers n'avoient fait que commencer : On n'avoit considérer que la forme générale du navire, on travaille après cela à sa figure d'une maniere plus précise ; on le suppose coupé selon sa longueur par un plan vertical, et on le rapporte à ce plan qu'on nomme d'élévation ; on le suppose encore coupé par un autre plan vertical ; mais situé perpendiculairement à la quille, et sur le second plan on projette le contour de tous les membres, ou de ces pieces de bois qui dans la comparaison si naturelle du navire avec le squelette d'un animal, représente[nt] les côtes. Un troisieme plan est horisontal sur lequel on abaisse des perpendiculaires de tous les points du vaisseau. M[onsieu]r D[uhamel] explique toutes les métodes qu'ont les constructeurs pour tracer ces differens plans et pour projetter aussi les navires sur un plan incliné qui peut devenir horisontal, lorsque le vent charge les voiles dans les routes obliques : Il montre le rapport qu'ont toutes ces differentes projections ; il déduit les unes des autres, il les compare pour faire mieux appercevoir les doubles contours qu'ont certaines parties, et il fournit les moyens de varier tous ces differents traits, selon les differentes vuës qu'on peut avoir. On peut aisément, en suivant ses preceptes, ou donner une plus grande capacité à la carene, ou au contraire en sacrifier un peu, pour donner au navire une prouë plus fine, ou si nous parlons en terme d'art, pour augmenter les façons qui doivent rendre la carene plus tranchante par l'avant et garantir d'une trop grande dérive le navire qui devient plus rapide dans la marche.

Mais le constructeur en préférant une figure à l'autre, en rendant les fonds de son navire plus ou moins fins, est-il sur de ne pas se tromper ? M[onsieu]r D[uhamel] l'éclaire dans son choix en destinant les deux derniers chapitres de son livre à discuter les proprietés du plan qu'on doit preférer. Il donne comme un petit traité d'hydrostatique dans lequel il réussit à mettre à la portée de ses lecteurs les principes de physique dont cette matiere dépend. Il évaluë la pesanteur de toutes les parties du navire, il cherche d'un autre côté la solidité de la carene, ou le volume d'eau dont elle occupe la place, et par la comparaison de ces deux quantités, il prévoit si la force de l'eau sera assez grande pour soûtenir le poids, lorsque la carene plongera jusqu'à un certain terme : Il a non seulement expliqué cette methode dans un très grand détail, il l'a appliquée à plusieurs vaisseaux dont on connoit à cet égard les bonnes ou mauvaises qualités : Ces applications n'ont pas pour but de conformer la methode ; puisqu'elle est fondée sur des principes trop certains ; mais rien ne fait mieux sentir que son accord avec l'expérience qu'elle sera très utile dans la pratique lorsqu'on s'en servira pour juger de la bonté des navires qu'on se propose de construire, et dont le plan est déja tracé.

Nous pouvons dire à peu près la même chose des opérations graphiques que M[onsieu]r D[uhamel] explique et met à la portée de tous ses lecteurs dans le chapitre suivant pour sçavoir si le navire fendra l'eau avec une facilité suffisante. L'autre éxamen avoit rapport à la sûreté de la navigation, au lieu qu'il ne s'agit dans celui-ci que de la rapidité de la marche ; mais tout le monde scait combien l'avantage du sillage doit être recherché. M[onsieu]r Duhamel a fait aussi plusieurs essais de cette methode, et il trouve qu'elle réussit également. Quelques navires ont une prouë dont la saillie ou la figure conoïdale fait diminuer 10 à 12 fois la résistance de l'eau ; ces navires marchent très vîte, au lieu que toutes choses d'ailleurs égales, ceux dont la figure de la prouë ne diminuent l'impulsion de l'eau que 4 ou 5 fois, ne sont pas distingués par leur sillage ; et passent dans la marine pour ne pas marcher.

Telle est l'idée que nous pouvions donner du livre dont nous êtions chargez de rendre compte à la compagnie. J'avois déja discuté de mon côté plusieurs de ces mêmes questions dans le Traité du navire [(Bouguer 46a)] ; et j'aurois bien mal rempli le plan que je m'étois proposé, si M[onsieu]r D[uhamel] n'avoit pu adopter quelques-unes de mes remarques, mais cet académicien toûjours semblable à lui-même est bien different des auteurs qui n'approuvent prèsque rien dans les livres écrits sur les matieres qu'ils traitent, et qui par cette injustice en couvent quelquefois une plus grande : Dans le temps même qu'il éclaircit, et qu'il étend plusieurs de mes idées, il oublie par pure générosité pour moi, combien il aura contribué au service qu'en pourra recevoir la marine. Je cesse de parler en mon nom particulier pour joindre mon suffrage au jugement que portent les deux autres commissaires : Il nous paroît que le livre a toutes les conditions necessaires pour meriter l'approbation du public, et nous le croyons digne de l'impression (PV 1752, p. 78-80).

Gallica

Bouguer parle en son nom sur la fin.

Grandjean de Fouchy donne un extrait du rapport le même jour (cf. 5 février 1752 (2)).

Clairaut est encore rapporteur pour la seconde édition de l'ouvrage (cf. 23 août 1758 (1)).
Abréviation
  • PV : Procès-Verbaux, Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Références
Courcelle (Olivier), « 5 février 1752 (1) : Clairaut rapporteur », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n5fevrier1752po1pf.html [Notice publiée le 14 novembre 2010].