Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


11 août 1737 (2) : Maupertuis (Sur le Zuiderse[e]) écrit à Jean I Bernoulli :
Les tems, les lieux, les plaisirs, les peines ne me feront jamais vous oublier, mon cher Monsieur, et quelque long tems qui se soit passé, sans que j'aie eu l'honneur de vous écrire, je conserve toujours pour vous les mêmes sentimens où j'étois lors que j'avois le bonheur de vous voir, et de vous entendre, et j'ai cru que vous pardonneriez mon silence à la vie que j'ai menée en Lapponie.

Nous en voici de retour, et je n'ai pû attendre à etre à Paris pour vous dire quel a eté le succez de notre voyage, quoique je ne puisse vous faire part du resultat de notre operation, avant que j'en aie rendu compte au Ministre [au Roi !, cf. 21 août 1737 (2)], et à l'Academie [cf. 28 août 1737 (1)]. Je vous dirai donc seulement que nous avons eté assez heureux pour vivre, et même nous bien porter pendant un an dans la zone glacée, ou sur ses confins ; que nous y avons mesuré sur la glace du fleuve de Torneå une distance de 7400 toises, qui mesurée deux fois, ne nous a donné que 4 pouces de difference; que cette distance nous a servi de roise pour mesurer par des triangles un arc du meridien de 57 1/2 minutes, qui a un tiers dans la zone glacée ; et que le petit nombre, et la disposition de nos triangles, et enfin l'excellence de l'instrument avec lequel nous avons observé la difference des deux zeniths qui terminent notre arc, et la précision qui s'est trouvée dans cette operation repetée par 2 etoiles differentes ne nous laissent rien à souhaiter. J'espere que tout le monde sera content de ce travail, et que la question sur la figure de la Terre sera pour jamais decidée. Je ne vous parlerai point de la vie qu'il nous a fallu mener pour parvenir à cette fin heureuse, des froids, des peines, des fatigues, des perils, tout est passé, et sur 15 personnes que j'avois à conduire, il n'y en a pas eu un de mort, ni de malade. M. Celsius professeur d'astronomie à Upsal étoit de notre compagnie, et Le Roy vient de recompenser les services qu'il nous a rendus, par une pension de 1000 l[ivres] [cf. 12 avril 1737 (1)]. Je crois qu'on peut demontrer qu'en comptant les erreurs de la mesure sur la Terre, et celles qu'on peut avoir commises pour determiner par les etoiles l'amplitude de notre Arc, il est impossible que l'erreur totale passe 50 toises, et qu'il est moralement sûr qu'elle en est bien eloignée. Cela suppose dans l'Instrument avec lequel nous avons pris la distance de l'etoile au Zenith, une précision presque incroyable, mais dont on conviendra lorsqu'on le connoitra, et qu'on verra les verifications que nous en avons faites. C'est un secteur de 9 pieds de rayon, et qui ne porte que 4 1/2 degrez, fait à Londres par M. Graham, et auquel l'excellence de la construction, le microscope, et toutes les commoditez donnent un grand avantage sur des instrumens qui seroient beaucoup plus grands.

Nous avons fait aussi dans la zone glacée plusieurs experiences sur la pesanteur, et toutes nous ont fait voir qu'elle est dans ces Païs considerablement plus grande qu'à Paris; mais il nous y est arrivé des choses assez remarquables. Pour etre plus sûrs d'appercevoir les plus petites differences qu'il est difficile de déterminer par la mesure actuelle des pendules, et pour eviter aussi les objections qu'on fait sur les pendules appliquez aux horloges, outre deux horloges faites exprès pour ces experiences, nous avions fait faire plusieurs pendules simples, de differentes figures, et de differentes matieres, dont nous avions éprouvé le tems des oscillations à Paris; quelques uns de ces pendules étoient des globes attachez à une verge de fer, les autres pour être plus invariables étoient de grosses barres de fer d'environ 4 1/2 pieds, et d'1 1/2 pouce de diametre, tous oscillans si librement, qu'ils pouvoient conserver le moindre mouvement pendant 8 et 10 h et quelques uns pendant plus de 20. Tous ces instrumens nous ont donné des augmentations differentes de pesanteur. Je pensai d'abord que les differentes resistances qu'éprouvoient ces differens pendules étoient la cause de ces differences, et que detruisant une partie de l'acceleration que causoit la pesanteur, les restes de cette acceleration devoient être plus inegaux qu'ils ne seroient sans cette resistance, ou avec une resistance moindre ; cela m'a paru facile à demontrer pour des corps qui tomberoient verticalement, et par la chûte desquels faite en differens Païs, on voudroit déterminer les differences de la pesanteur; et il m'a paru qu'on pouvoit appliquer le même raisonnement à des corps qui tomberoient dans des cercles, ou qui feroient des oscillations. Cependant M. Clairaut qui a beaucoup travaillé sur cette matiere n'a point eté de mon avis, et ne croit point que les differences que nous trouvons dans les augmentations de la pesanteur dépendent de la resistance de nos pendules. Voici comme je déterminerois la vîtesse, ou la resistance d'un pendule qui seroit composé de deux globes [maths]. M. Clairaut à qui je fis voir d'abord mon expression, me dit qu'il la croyoit bonne, et me dit depuis, qu'il avoit trouvé plusieurs choses curieuses sur cette matiere, entr'autres le centre d'oscillation des corps dans des milieux resistans, mais il m'a fait mystere de tout, et je n'ai point eu assez de loisir, ni de sagacité pour le trouver. Il me semble, cependant, si je ne me suis point trompé, qu'il ne me seroit pas impossible de trouver de la même maniere la vîtesse d'un pendule qui auroit plus de 2 corps, et même qui seroit un assemblage continu de corps, ou un pendule materiel. Je vous prie, mon cher Monsieur, de me dire sur tout cela votre avis.

Comme j'ai craint aussi pour nos barres de fer, que le magnetisme ne vint encor à la traverse dans ces lieux voisins du Pole, et tous pleins de fer, et que j'ai voulu avoir le coeur absolument net sur cette matiere, j'ai voulu faire à Pello ces experiences avec 5 pendules de metaux differens, et dont la forme est exactement la même ; quand je pourrai faire à Paris des observations correspondantes avec ces mêmes instrumens, je crois que je serai en état de debrouiller absolument cette matiere où la précision que nous avons apportée m'a fait connoitre qu'il pouvoit y avoir bien du méconte dans toutes les déterminations de la longueur du Pendule qu'on a faites jusqu'ici.

J'apprends que j'ai le compliment annuel à vous faire sur les Prix, quoi que je ne sçache pas encore le detail de cette distribution, c'est toujours avec le plus grand plaisir que je puisse ressentir, que je vois tout ce qui vous arrive d'agreable. J'arrive incessamment à Paris, et je meurs d'envie d'y recevoir de vos nouvelles, j'y serai toujours long tems avant votre lettre. Je suis de toute mon ame mon trés cher Monsieur votre tres humble et tres obeissant serviteur Maupertuis.

Sur le Zuiderzee 11 Aoust 1737

Mille respects à M.e Bernoulli et mille amitiés à M[essieu]rs vos fils (UB Basel, L I a 662).
Abréviation
  • UB Basel : Öffentliche Bibliothek der Universität Basel, Basel.
Courcelle (Olivier), « 11 août 1737 (2) : Maupertuis (Sur le Zuiderse[e]) écrit à Jean I Bernoulli », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n11aout1737po2pf.html [Notice publiée le 3 février 2012].