Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


14 septembre 1750 (1) : Cramer écrit à Clairaut :
14 sept[embre] 1750

Votre amitié, mon cher Monsieur, sera toujours pour moi un des plus précieux avantages dont je puisse jouir : puisqu'elle me fait trouver en même temps l'utile et l'agréable. Aussi sa conservation sera-t-elle toujours l'objet de mes vœux, et s'il est possible de mes soins. Vous aurez présentement reçu et peut-être parcouru mon Analyse des courbes [(Cramer 50)]. Hâtez-vous de m'en dire votre sentiment. J'attends mon arrêt avec inquiétude. Venant d'un aussi grand juge que vous, il sera juste, puisse-t-il être favorable. Je serais bien flatté d'une chose que je n'ose exiger de votre amitié ; ce serait que vous me fissiez part des remarques qui pourront vous venir dans l'esprit dans la lecture rapide et réfléchie que vous vous donnerez la peine de faire de ce livre. J'y trouverais sans doute une instruction qui me serait infiniment utile et une critique que la politesse de votre caractère assaisonnerait de tout ce qui la peut faire goûter à l'amour propre le plus délicat. Vous entendez bien que ces remarques, si vous daignez m'en faire part, seront pour moi seul. Pardonnez, mon très cher ami, toutes ces petitesses à la timidité d'un auteur nouveau-né. Figurez-vous une jeune épouse qui est dans l'embarras des premiers jours de son mariage.

Il est bien vrai qu'avec un ami aussi parfait que vous l'êtes, on doit avoir une entière confiance, et même qu'on doit se mettre au-dessus des marques de confiance qu'on se croit obligé de donner aux amis ordinaires. Aussi j'espère que vous me rendrez la justice de penser que ce n'est ni réserve mal placée, ni délicatesse affectée qui m'a retenu de vous écrire pendant la vacance du siège académique [cf. Mars 1750 (1)].

Croyez-moi quand je vous dis par une délicatesse très réelle qui me fait trouver un plaisir infini à penser que mes amis m'aiment encore et s'intéressent pour moi lorsque dans des occasions importantes je semble presque les négliger ; et encore parce que je me figure que je procurais à vous-même quelques satisfactions de songer que vous aviez un ami, lors même que vous deviez avoir raison de le gronder. Ce sentiment, qui me semblait alors véritablement délicat, me parait aujourd'hui romanesque. Je conviens de mon tort, et je suis bien dans l'intention de n'y plus revenir ; mais, s'il faut vous parler avec une entière sincérité, je n'ose vous promettre de ne pas retomber dans la même faute. Ayez pitié, mon cher Monsieur, d'un cœur dans lesquels les sentiments dominent quelquefois jusqu'à l'extravagance, mais qui ne se trouve heureux et malheureux que par là. Cette délicatesse outrée vient, je crois, de ma situation qui dès le moment de ma naissance a été une riante médiocrité.

M. Calendrin [Calandrini] me charge de vous dire qu'il est très content de la façon dont vous avez parlé de lui dans le mémoire de 1745 [cf. 20 décembre 1747 (1)] (nous ne les avons vus que depuis peu). C'est un homme perdu pour les mathématiques. Ses devoirs de conseillers l'occupent entièrement, et il ne manquera point de s'y distinguer. Il m'a chargé de vous faire ses remerciements et mille compliments de sa part. Vous m'obligerez sensiblement de marquer à tous ceux qui vous parleront de moi combien je suis sensible à l'honneur de leur souvenir. N'oubliez pas, je vous prie, M. et Madame du Pré de S[ain]t Maur [Dupré de Saint-Maur], et surtout Mme de Vassi [Vassé] et Mlle Ferrand. Je n'oublierai jamais ni les politesses que j'en ai reçues ni l'idée qu'elles m'ont données d'une âme aussi grande que belle, aussi respectable qu'aimable. Adieu, mon cher Monsieur, donnez-moi, je vous prie, des nouvelles de ce qui se passe dans votre bonne ville et parmi vos savants. Vous n'ignorez pas que celles que je souhaite avoir principalement ce sont celles qui vous intéressent, et qui par conséquent m'intéressent moi-même au-delà de toute expression (Speziali 55).
Cramer avait déjà écrit sur le même thème le 5 août (cf. 5 août 1750 (2)).

Clairaut répond à Cramer le 13 octobre (cf. 13 octobre 1750 (1)).
Références
Courcelle (Olivier), « 14 septembre 1750 (1) : Cramer écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n14septembre1750po1pf.html [Notice publiée le 6 février 2012].