Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


16 mai 1764 (1) : Clairaut rapporteur :
MM. Clairaut et de la Lande ont fait le rapport suivant de l'ouvrage de M. Bourde sur les mouvements du navire et les évolutions navales.

Nous avons examiné par ordre de l'Académie [cf. 7 avril 1764 (2)] un ouvrage qui a pour titre le manœuvrier, ou essai sur la théorie et la pratique des mouvemens du navire et des evolutions navales, par M. Bourdé officier des vaisseaux de la compagnie des Indes.

Il y a jusqu'ici fort peu de livres, ou l'on ait traité de la manœuvre des vaisseaux d'une maniere propre à instruire de jeunes officiers, le livre du P. Hoste composé il y a plus de soixante dix ans, et celui de M. Bouguer publié en 1757 [(Bouguer 57b)] sont presque les seuls que l'on puisse citer ; le premier commence a estre trop ancien, le second est un excellent ouvrage, ou les officiers les plus habiles trouveront des choses essentielles a apprendre, M. Bourdé en a fait usage, mais il faut être déja instruit pour puiser dans une pareille source, il faut de la geometrie et de l'expérience, enfin il y a une multitude d'opérations que la pratique exige qu'un officier apprend par le long usage de la mer, et que M. Bouguer n'avoit pas intention de détailler, il ecrivoit la partie geometrique de la manœuvre, c'étoit à un officier de mer d'en ecrire l'usage l'application et l'exercice. C'est ce qu'a fait M. Bourdé.

Après avoir etabli d'une maniere simple et elementaire les premieres notions sur le choc des fluides, et sur le mouvement des corps frapés, M. Bourdé examine de quelle maniere se fait l'impulsion du vent sur les voiles et quelle est la direction et la vitesse vraie et apparente du vaisseau par rapport au vent il demontre que les vitesses du vaisseau sont comme les sinus d'incidence du vent sur la voile tant que la voile continue d'être orientée de la même façon par rapport a la quille, et que pour s'eloigner le plus vite d'une côte ou d'une ligne donnée il faut que la tangente de l'incidence apparente soit double de la tangente de l'angle que fait la voile avec la route. Il rapporte a cette occasion la table de M. Bouguer pour courir avec leplus de vitesse, mais il observe qu'il n'y en a gueres qu'un tiers qui puisse avoir lieu, parce que dans les autres cas les voiles s'entrecouvriroient trop, c'est ainsi que les théories les plus utiles ont besoin d'estre soumises à l'expérience pour fixer leur étendue et leur application.

M. Bourdé examine ensuite l'action des mâts et des voiles qui sont sur l'avant du vaisseau, comme la circadière et les focs qui sont hissé sur le mat de misaine, et les voiles d'étais qui sont avantageuses au plus près, et qui tiennent le vaisseau bien gouvernant surtout quand il est dur a arriver, l'experience fait voir qu'elles sont encore plus utiles que les théories ne semblent l'indiquer. Toutes les autres voiles sont egalement discutées dans leurs usages et leurs proprietés.

Le gouvernail est ensuite l'objet des considérations de l'auteur, il fait voir par des raisonnements simples mais très naturels que dans la pratique c'est l'angle de 47° ou environ qui est le plus avantageux pour faire tourner le vaisseau, et non pas celui de 55 dont on a parlé longtemps dans tous les livres de geometrie, mais dans la construction ordinaire a peine peut on traverser la barre de 30 degrés ; au reste M. Bourdé fait voir que dans la pratique on ne doit se servir du gouvernail que le moins qu'il est possible.

La seconde partie de cet ouvrage contient l'application de la théorie a la pratique, et la demonstration des évolutions du navire, c'est la partie brillante de l'homme de mer, un officier intelligent doit se rendre maitre de son vaisseau et des élemens qui l'environnent, pour les faire servir à son but, mais il faut qu'il en connoisse bien la puissance et les effets ; les premiers problemes qui se presentent a resoudre concernent la maniere d'appareiller, le bout au vent, lorsqu'il n'y a point de courant, d'appareiller le bout au courant, d'appareiller en faisant embossure ; de virer de bord vent devant, ou vent arriere, de mettre en panne ou de mettre les voiles en opposition pour que le vaisseau soit arrêté de mettre a la cape c'est a dire de tenir le plus près du vent avec une seule voile on ne met a la cape que quand on y est forcé par le vent contraire, aussi toutes les façons ont des deffauts, M. Bourdé les discute separement, et indique les méthodes ou il y a le moins d'inconvenient.

Il passe ensuite a la maniere de chasser un vaisseau, et de le joindre par la voile la plus courte, plusieurs geometres ont écrit sur les courbes de poursuites et sur les differentes manieres d'atteindre un vaisseau, M. Bourdé propose de virer de bord toutes les fois que le vaisseau chasseur trouvera l'autre vaisseau dans la perpendiculaire a sa route, si le vaisseau chasseur est sous le vent, mais s'il est au vent il doit relever constamment le vaisseau qu'il chasse, au même rumb ou il l'a relevé en commençant la chasse, c'est le moyen de parvenir ensemble au point de section des deux routes.

Après avoir chassé il est question d'aborder, aussi les evolutions necessaires pour aborder ou pour eviter l'abordage viennent à la suite de celles dont nous venons de parler. M. Bourdé parle ensuite des mouillages, mouiller de beau temps, le vaisseau étant au plus près, mouiller de vent arriere, mouiller d'un temps forcé, mouiller avec des embossures, pour presenter tout d'un coup le côté a une place, ou à un vaisseau que l'on veut attaquer. Toutes ces operations sont d'abord décrites, ensuite demontrées et terminées par des reflections judicieuses et des détails qui nous paroissent très utiles.

La troisieme partie de cet ouvrage contient diverses observations sur les vaisseaux, sur leurs differentes parties, leur construction, leur administration interieure, leur graiment, leur arrivage, le service de mer les exercices nécessaires pour la manœuvre, lespreparatifs de combat, sur le nombre des equipages sur leurs fonctions et autres objets importans pour la marine, on n'a presque rien écrit sur ces objets malgré l'importance qu'il y a de discuter, d'approfondir, et de perfectioner des pratiques sur lesquelles chacun est obligé d'attendre une expérience souvent trop tardive, et des circonstances trop rares ; que de choses imprevues, et qu'on auroit apprise dans des livres si des officiers instruits nous avoient transmis leurs connoissances en ce genre, comme le fait M. Bourdé.

Un des objets sur lequel M. Bourdé insiste le plus, c'est la maniere de bien placer sur le point velique le centre d'effort des voiles. Le point velique est celui ou une perpendiculaire elevée au centre de gravité de la surface de flotaison rencontre la direction de l'impulsion de l'eau sur la proüe dans la route directe. Ce point de rencontre na pas lieu dans les routes obliques, aussi n'y a-t-il pas dans ce cas la de mâture parfaite, parce qu'il n'y a point de vaisseau qui ne derive et qui n'incline, mais il est du moins très avantageux de placer le centre d'effort des voiles a la hauteur ou un plan horisontal est coupé dans l'axe du vaisseau par les deux lignes dont nous avons parlé, en considerant les routes obliques dont on a le plus souvent besoin ; et cela tend évidemment a raccourcir la mâture, comme M. Bouguer le propose en plusieurs endroits de ses ouvrages.

La quatrième et dernière partie du manœuvrier contient un essai surles évolutions navales, accompagné de 116 planches qui representent les differentes évolutions ; on y trouve la division des armées les ordres du convoi, de marche, de combat, de retraite, la maniere de fermer l'ordre ou de le changer, de passer d'un ordre a un autre, soit que le vent change, soit que la situation de l'ennemi l'exige, manœuvrer l'armée dans ses ordres sans les changer, eviter le combat, ou y forcer l'ennemi, le doubler, le traverser ; ces évolutions ont été données d'une maniere presque complette par le P. Hôte sur la fin du dernier siecle, mais cet ouvrage est devenu si rare qu'on ne sauroit se le procurer ; d'ailleurs M. Bourdé y a ajouté beaucoup de choses relatives a la perfection actuelle de l'art, principallement sur l'ordre du convoi qui est d'un assez grand usage, et dont le P. Hôte n'avoit presque rien dit. Le traité que vient de donner M. Bigot de Morogues [(Bigot de Morogues 63)] contient aussi beaucoup de choses sur les évolutions ; mais la partie la plus etendue a pour objet l'usage des signaux, ainsi l'ouvrage de M. Bourdé sera utile au public même pour la partie des evolutions. Dans ces circonstances nous estimons que ce livre est fort digne d'être imprimé, tant a cause de principes mathematiques de la manœuvre qui y sont expliqués avec clarté et avec methode, qu'a cause des details d'experience, et des regles de pratique dont cet ouvrage est rempli, et nous le croyons très digne de l'approbation de l'Academie (PV 1764, ff. 168r-172v).

Gallica

Ce rapport a été reproduit dans l'ouvrage imprimé (Bourdé de Villehuet 65, pp. xxvii-xxxii).

Abréviation
  • PV : Procès-Verbaux, Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Références
Courcelle (Olivier), « 16 mai 1764 (1) : Clairaut rapporteur », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n16mai1764po1pf.html [Notice publiée le 8 mars 2013].