Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


5 mai 1764 (1) : Clairaut rapporteur :
MM. Duhamel, Clairaut et de la Lande, ont fait le rapport suivant de l'affaire de M. Tanck renvoyée par M. le comte de Gleischen.

Nous avons examiné par ordre de l'Académie [cf. 11 avril 1764 (2)] un mémoire sur lequel elle a éte consultée, a l'occasion du procès pendant au conseil des prises entres les officiers de l'amirauté de Boulogne sur mer, et M. Tank négotiant de Frederikkald en Norvege. La seule chose qui soit du ressort de l'Académie est l'examen des marées pour le 4 juin 1761 et jours suivans. Les officiers de l'amirauté suivant un procès verbal de déchargement et recensement du vaisseau echoüé sur la côte de Boulogne, ont vaqué pendant 26 jours a cette operation ; le 4 juin 1761 à sept heures et demie du matin la vive eau cessant et la marée ne donnant plus de mouvement au navire, on commença a y travailler ; le 5 juin ce fut à 8 heures du matin et ainsi des jours suivants, jusqu'au 17 juin que la mer étant suffisamment retirée on monta à bord du navire, à huit heures du matin, et l'on y resta jusqu'à midi. Tout ceci est extrait des citations rapportées dans le mémoire de M. Tank d'après le procès verbal, dont l'original n'a poit éte comuniqué à l'Academie.

Les officiers de l'amirauté conviennent partout dans leur procès verbal (dit M. Tank) que pendant six heures la mer entouroit tellement le navire, qu'il n'étoit pas possible d'en approcher ; ce n'est donc que 3 heures après la haute mer que pouvoient commencer les travaux et les vacations du procès verbal, on demande donc à l'Académie si le 4 juin 1761 au matin la marée pouvoit être à quatre heures et demie du matin, pour que l'on ait abordé le vaisseau à sept heures et demie du matin.

La première chose qu'il est necessaire de connoître pour cet effet, c'est l'établissement du port, ou l'heure a laquelle arrive le coup de la pleine mer dans les jours de nouvelle et pleine lune, suivant la connoissance du temps de 1759, et de toutes les années précédentes, depuis 1687, il est dit que l'heure de la pleine mer sur les côtes de Picardie à l'embouchure de la Somme, à S[ain]t Valery, à Estaple, à Boulogne et à Ambleteuse, est 11h 0' le jour de la nouvelle et de la pleine Lune ; dans la Connoissance des temps de 1685 et 1686 il est dit qu'à Calais, à Dunkerque, à Neuport, à Ostende, la mer est toujours haute quand la Lune est dans le méridien, mais dans celle de l'année suivante 1687 on trouve une table plus circonstanciée dans laquelle il est marqué 11h, on trouve la même chose dans le Neptune françois, dont la table a été adoptée par nos plus célebres auteurs ; dans l'état du ciel par M. Pingré ; on nous a produit en original un certificat signé par l'hydrographe du Roy à Dunkerque, qui a serment au siege de l'amirauté ; et par trois anciens capitaines de navires naviguants du port de Dunkerque, legalisée par le lieutenant general de l'amirauté de France etablie pour la Flandre à Dunkerque, en date du 24 avril 1764 dans lequel il est dit, que chaque jour de nouvelle et pleine Lune la marée est haute au cap de Griney [Gris-Nez] situé entre Boulogne et Calais, à onze heures. Nous pouvons donc partir de ce point qui est convenu entre nos auteurs et les gens de l'art, savoir que la marée avance d'une heure sur le passage de la Lune au méridien.

Le 4 juin 1761, la Lune passoit au méridien à 1h 32' du soir suivant la Connoissance des temps de la même année, calculée par l'un de nous, et que nous avons vérifiée, a l'occasion de la contestation présente, par un calcul rigoureux, et auquel nous n'avons rien trouvé a changer ; ainsi la pleine mer ce jour la devoit arriver à midi et 32 minutes.

Les calculs rigoureux qu'on a faits des forces attractives du Soleil et de la Lune sur les eaux de la mer, principalement a l'occasion du prix que l'Academie proposa sur ce sujet en 1738 et qui fut donné en 1740, nous ont fait connoître que l'heure de la pleine mer doit s'eloigner quelques fois de près d'une heure du temps indiqué par la regle ordinaire, surtout lorsque la Lune est apogée et en quadrature, mais le 4 juin 1761 la Lune étoit au contraire perigée et assez près du Soleil, car la nouvelle Lune étoit arrivée le 3 au matin, et la Lune n'étoit eloignée que de 22 degrés du Soleil, ainsi a cet egard il n'y a aucun changement a faire à la regle generale on peut s'en assurer en consultant la table génerale et corrigée que M. Bernoulli a donnée dans son traité sur le flux et le reflux de la mer, et qui se trouve dans la Connoissance des temps de 1760. Ainsi le 4 juin 1761 la pleine mer devoit arriver à midi et demi au cap Griney, et par conséquent le navire echüé devoit être submergé ou inaccessible depuis 9 heures et demie, après midi, au contraire il paroît par le procès verbal qu'on a commencé a travailler à sept heures et demie du matin et qu'on y a resté jusqu'à deux heures après midi, c'est à dire précisément pendant tout le temps ou il devoit être impossible d'y travailler suivant les calculs précedents ; le 9 juin la pleine mer devoit arriver à 4 h 10' et c'est précisemment à 4 heures du matin que commencent les vacations du proès verbal. Il en est de même des jours suivants, où les calculs du sieur Tank nous ont paru assez justes, quoi qu'absolument incompatibles et inconciliables avec le procès verbal qui est cité dans son mémoire ; au reste n'ayant fait nous mêmes aucune observation sur les marées de Boulogne, et n'en voyant aucune dans les mémoires de l'Académie, nous n'avons pu établir l'heure du port que sur des autorités etrangeres, mais elles s'accorde avec tout ce qui a été observé sur les côtes de la Manche, dans une étendue de plus de 200 lieues, ou l'on voit que la mer avance d'environ vingt lieues par heure, ensorte qu'il est difficile de croire qu'il y ait une erreur seulement de demi heure dans les calculs que nous venons de rapporter.

Dans ces circonstances nous estimons que la pleine mer a dû arriver certainement vers midi, le 4 juin 1761 au cap de Griney, et c'est a quoi se reduit la question sur laquelle l'Académie a été priée de statuer, nous ne pouvons rien dire sur les circonstances particuliere qui ont pu causer dans la marée des changements extraordinaires au temps dont il s'agit, mais il est impossible de croire qu'elles aient pu produire une semblable difference (PV 1764, f. 150v-154r).

Gallica

Abréviation
  • PV : Procès-Verbaux, Archives de l'Académie des sciences, Paris.
Courcelle (Olivier), « 5 mai 1764 (1) : Clairaut rapporteur », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n5mai1764po1pf.html [Notice publiée le 8 mars 2013].