Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


12 septembre 1761 (2) : Les sœurs Planström : interrogatoire Planström (I) :
Decret comm[issai]re Duruisseau

Du samedy 12 [septem]bre 1761

Fait venir de sa prison du Petit Chatelet Elizabeth Planstrom, femme d'Anne Poitier de Sevy seigneur de Pelletot, agée de quarante deux ans, native de Stocolm, demeurante à Paris, rue de Limoges chez led[it] s[ieu]r de Bragelonne, apres serment.

Interrogé comment elle a fait la connoissance dud[it] s[ieur] de Bragelonne
A dit qu'elle en a fait la connoissance dans la maison qu'a fait bâtir M. le curé de S[aint]t Sulpice en fâce de l'eglise de S[ain]t Sulpice chez la d[emoise]lle de [Beuclair], chez la d[am]e Servandoni ou elle, repond[an]te, alloit tous les jours, et ou elle fit la connoissance de la d[am]e de Bragelonne.

S'il y a longtemps qu'elle demeure chez le s[ieu]r et d[am]e de Bragelonne
A dit qu'il y a bientot deux ans.

Qui a pû occasionner la grande union dans laquelle elle paroit vivre depuis quelque temps avec lesd[its] s[ieu]r et d[am]e de Bragelonne
A dit que ce sont les grands services que luy ont rendus lesd[its] s[ieu]r et d[am]e de Bragelonne.

Qui a pû exciter lesd[its] s[ieu]r et d[am]e de Bragelonne à luy rendre de si grands services
A dit que leur bon coëur et des motifs de charité et de compassion les ont animés et les ont fait agir.

Si le s[ieu]r de Bragelonne luy a toujours paru etre de bonnes mœurs
A dit qu'elle a toujours eprouvé et reconnu le s[ieu]r de Bragelonne pour un homme de probité.

En guise des causes qui ont produit le mesintelligence et la haine qui paroit subsister entre elle, repond[an]te, et son mary

A dit que le s[ieu]r Pelletot l'a abandonné et l'a persécutée sans aucun sujet, et qu'elle imagine que le s[ieu]r de Pelletot n'a suivy que les mauvais conseils qui lui ont eté donnés, et les mauvaises impressions de son cöeur et de son esprit.

Si ce n'est pas plutot sa conduite et ses mœurs dérelglées qui ont eté le germe de la mesintelligence qui regne entre elle et son may

A dit que le s[ieu]r de Pelletot ne peut rien lui reprocher, qu'elle a été la plus fidelle de toutes les femmes, qu'elle a aimé son mary bien tendrement, et que jamais elle n'a mené une vie dereglée.

Si cependant elle n'a pas eû plusieurs amants.
A dit que le s[ieu]r de Pelletot le dit, mais que cela n'est pas de vray.

Si depuis qu'elle a fait la connoissance du s[ieu]r comte de Bragelonne, elle n'a pas vecu librement et en mauvais commerce avec luy.
A dit que cela est faux.

Si le meme jour qu'elle a fait la connoissance de s[ieu]r de Bragelonne, elle n'a pas couchée avec luy dans un apartement qu'elle occupoit lors rue de la Comedie Françoise.
A dit que c'est une calomnie.

Si elle n'a pas mené avec led[it] s[ieu]r comte de Bragelonne la conduite la plus scandaleuse et la plus indecente, jusqu'à se faire voir à decouvert tous les deux dans le même lit.
A dit que c'est une pure calomnie.

Combien de temps elle a demeuré rue de la Comedie Françoise.
A dit l'espace de six mois.

Si elle n'a pas reçü dans cet apartement un jeune homme qui se faisoit appeler le comte de Roque.
A dit que le s[ieu]r comte de Roque est un des parents de la demoiselle de Buclair, que c'est chez lad[ite] d[emoise]lle de Buclair qu'elle, repond[an]te, a fait connoissance dud[it] s[ieu]r comte de Roque, qu'elle se rappelle que le s[ieu]r comte de Roque s'est presenté plusieurs fois chez elle, mais que jamais elle n'a recû led[it] s[ieu]r comte de Roque.

Si cependant elle n'a pas eû de faiblesse pour le [sieu]r comte de Roque
A dit que son mary l'en accuse de biens d'autres, qu'il luy donne une grande quantité d'amants, mais qu'il n'en prouvera aucun.

Si elle n'a pas aussy vecu tandis qu'elle demeuroit dans la rue de la Comedie Francoise avec le nommé Rose, valet de chambre de M[onsieu]r l'envoyé de Suède
A dit qu'elle est aussy innocente de celui-là que de tous les autres.

Si dans le temps qu'elle voyoit led[it] Rose, elle ne luy recommandoit pas de prendre garde de donner de la jalousie au s[ieu]r comte de Bragelonne
A dit que c'est une supposition.

Si etante couchée un jour avec le s[ieu]r comte de Bragelonne dans le même lit, elle ne fit pas venir une fille nommée Suzanne Hussenot [cf. 26 mars 1761 (1)], qu'elle avoit lors pour domestique, et devant laquelle elle, repond[an]te, et le s[ieu]r de Bragelonne ne rougirent pas de montrer leurs cuisses en luy demandant qui des deux les avoit les plus blanches.
A dit qu'il n'y a rien de si faux que cela.

A elle remontré que son commerce avec le s[ieu]r de Bragelonne etoit si peu caché qu'elle n'avoit pas de honte a raconter à qui vouloit l'entendre ses debauches avec led[it] s[ieu]r de Bragelonne, qu'un jour entre autre, le [sieu]r de Bragelonne ayant dit qu'il avoit couru dans une nuit quatre ou cinq poste avec elle, elle s'est mise à repondre que le s[ieu]r de Bragelonne étoit un hableur, et que des qu'il en avoit couru la moitié, il etoit hors d'haleine
A dit qu'elle n'a jamais proferé de pareils termes et qu'elle est incapable d'avoir parlé de la sorte.

Si même ses debauches ne luy ont pas procuré des maladies honteuses
A dit que cela est une imposture, que jamais elle n'a connu semblables maladies, que souvent elle en a couru les risques avec son mary, mais que la providence l'en a préservée.

A elle remontré cependant que la servante ci dessus nommée luy a préparé differents remedes convenables a de pareilles maladies et qu'un jour cette meme servante tenante entre ses mains des linges fort malpropres et qui indiquoient le mal honteux, elle les luy a arrachés avec grande precipitation

A dit que ce fait est la calomnie la plus noire que l'on puisse inventer, qu'elle est aussy innocente que l'enfant qui sort du sein de sa mere, et que la servante en question est une malheureuse dont elle devoilera tous les crimes.

Si elle n'a pas eté vû couchée avec le s[ieu]r de Bragelonne dans le meme lit, tant par lad[ite] Suzanne sa domestique, que par nombres d'autres personnes
A dit que cela est faux, et que si elle eust eté capable de bassesse, elle ne se seroit pas deshonorée publiquement.

A elle remontré qu'elle ne dissimuloit point sa passion et ses dereglements, que plusieurs fois on l'a entendue dire qu'elle etoit née avec du temperament, et qu'elle ne pouvoit se passer d'hommes, qu'une fois entre autres, elle a tenu semblable discours à un s[ieu]r Removille [cf. 27 mars 1761 (2)] auquel elle dit en luy montrant ses cuisses, qu'elle avoit au dessus un beau jardin.
A dit que c'est la calomnie la plus noire et la plus infame que l'on puisse jamais imaginer.

Si elle n'a pas diné un jour chez le s[ieu]r de Bragelonne avec le s[ieu]r Perand de Beausol [cf. 31 mars 1761 (1)]
A dit qu'il peut y avoir diné comme bien d'autres.

Si elle n'a pas un jour diné avec le s[ieu]r de Beausol, le s[ieu]r de Bragelonne et une autre particuliere. Interpellée de nous en declarer les noms et demeures
A dit que cela peut etre, et qu'elle presume que la f[emm]e dont nous luy parlons est une nommée Testevuide ou [Courbon, cf. 26 mars 1761 (2)] qu'elle ne connoissoit pas alors pour une femme de debauche mais qu'elle a appris depuis avoir eté à l'hopital.

S'il n'est pas vray que devant le s[ieu]r de Beaussol, le s[ieu]r de Bragelonne et elle se livrerent encore à la debauche et qu'ils excitoient le s[ieu]r de Beausol à s'amuser avec cette autre femme qui etoit presente
A dit que cela est bien faux, et qu'elle est incapable de pareilles horreurs.

Si elle n'a pas de connoissance que le s[ieu]r de Bragelonne a proposé à plusieurs particuliers de s'amuser avec cette même femme
A dit que non.

Si elle frequente toujours la d[am]e de Servandoni [cf. 2 avril 1761 (4)]
A dit que non.

Pourquoy elle ne voit plus lad[ite]e Servandoni
A dit parce que sa societé ne luy convient pas.

Si ce n'est pas parce que lad[ite]e Servandoni, instruite de ses débauches avec le s[ieu]r de Bragelonne, luy a fait les representations les plus honnêtes qu'elle, repond[an]te, n'a pas voulu
A dit que lad[it]e Servandoni ne luy a jamais ouvert la bouche de pareilles horreurs

A elle remontré que tous ceux qui avoient accoutumés de la venir voir etoient temoins des carresses les plus libres de sa part envers le s[ieu]r de Bragelonne.
A dit qu'elle n'a jamais souffert les moindres carresses du s[ieu]r de Bragelonne.

Interrogé si elle n'a pas eû habitude avec un des enfants du s[ieu]r de Pelletot
A dit que cela est extremement faux

Si elle n'a pas couché avec luy plusieurs fois à S[ain]t Leu Taverni dans un voyage qu'elle y a fait pour aller voir un enfant qui y etoit en nourrice [cf. 15 avril 1761 (4)]
A dit que cela est extremement faux, mais que c'est avant le voiage de S[ain]t Leu Taverni que le s[ieu]r de Pelletot son mary a fait coucher cet enfant sur un lit de repos dans la meme chambre qu'elle, repond[an]te, tandis que la sœur de cet enfant couchoit dans une chambre a costé, qui n'etoit separée que par une porte vitrée, qu'il est vray qu'une nuit ce jeune homme vint luy demander de venir coucher avec elle, a quoy elle, repond[an]te, le renvoya en le menaçant de le faire mettre à S[ain]t Lazare, mais depuis elle a aprris par le nommé Berlimont que c'etoit led[it] de Pelletot son mary qui avoit voulu luy jouer pareille indignité et qui s'etoit pour cet effet absenté pour trois ou quatre jours.

De quel[le] profession etoi[en]t ses pere et mere, quel[les] etoient leur facultés, et [quelle] etoit la nature de leurs biens
A dit que son pere etoit capitaine de cavalerie, qu'il a servy sous Charles douze, que sa mere etoit fille d'un homme de condition, conseiller d'une cour souveraine de Suede, que son pere comme cadet n'a pas eû grand bien, et que sa mere a eû dix mil livres de rente.

A quel âge elle a quitté son pays et pourquoy elle est venue a Paris
A dit qu'elle y est venue à l'age de dix sept ans avec sa sœur qui est actuellement au couvent du Tresor et avec la permission de ses pere et mere dans la veuë d'entrer dans la religion catholique et pour l'etablissement de sa sœur qui devoit se marier avec une personne de condition, ce qui n'a pas eû lieu.

Si peu de temps apres son arrivée en France, elle n'entra pas domestique chez madame [la] duchesse d'Aiguillon en qualité de femme de chambre a raison de cent cinquante livres de gages
A dit que cela est faux, et qu'elle invoque sur ce fait le temoignage de lad[ite] duchesse d'Aiguillon.

Avons continué le present interrogatoire au premier jour

Lecture a persisté et signé Planström. Lenoir (AN, Y 10237, dossier Planström, pièce 7).
L'interrogatoire de la dame de Pelletot se poursuit le 14 (cf. 14 septembre 1761 (2)).
Abréviation
  • AN : Archives nationales.
Courcelle (Olivier), « 12 septembre 1761 (2) : Les sœurs Planström : interrogatoire Planström (I) », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n12septembre1761po2pf.html [Notice publiée le 4 mai 2009].