Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


26 mars 1761 (2) : Les sœurs Planström : déposition veuve Michel :
[En marge : 2e [témoin], r[écolée], c[onfrontée] aux deux [accusés]]

Jeanne Françoise Testevuide, agée de trente trois ans, veuve Louis Michel, maitre bourlier, demeurante a Paris rue du Parc Royal, paroisse Saint Paul, après serment par elle fait de dire verité, qu'elle a declaré n'estre parente, alliée, servante ny domestique des parties et a representé l'exploit d'assignation a elle donné ce jourd'huy par ledit Boudranghain huissier.

Depose du fait en question, lecture a elle faite desdittes plainte, requete et ordonnance qu'il y a quatre ans qu'elle connoit le[dit] s[ieu]r comte de Bragelogne, qui l'avoit pris pour etre demoiselle de compagnie aupres de la dame son epouse ; que, demeurant a l'hotel de Modene au mois de janvier mil sept cent soixante, led[it]sieur de Bragelogne, qui rentra un certain jour sur les quatre ou cinq heures du matin, dit a la deposante, qui lui en faisoit des reproches, qu'il avait fait connoissance chez la dame de Servandoni d'une femme fort aimable qui etoit en procès avec son mary, qu'il venoit de coucher avec elle et qu'il esperoit tirer un très grand avantage de cette connoissance ; que la deposante a demeuré avec la dame de Pelletot pendant une quinzaine de jours rue de la Comedie Francoise, ensuitte pendant six semaines ou environ a l'hotel de Modene, et cela dans un appartement que le s[ieur] de Bragelogne et son epouse ont louë conjointement sous leurs noms, rue de Grenelle vis a vis la fontaine ; que la deposante a toujours vû beaucoup de privautez et de familiaritez entre le s[ieur] de Bragelogne et lad[ite] dame de Pelletot, mais que principalement elle les a vûs plusieurs fois couché ensemble dans le meme lit dans la rue de Grenelle, se livrer en sa presence sans aucune pudeur aux excès de la plus grande debauche, que la deposante leur en a meme quelquefois fait des reproches en leur disant que ces excès etoient trop vifs pour etre de longue durée [!] ; que madame de Pelletot a avouë a la deposante qu'elle avoit eû affaire avec plusieurs autres hommes et nottement avec le comte Roques qu'elle accusoit de l'avoir volé, et avec le s[ieu]r Roze ; qu'elle a vû ledit sieur Roze venir la voir plusieurs fois et que dès que le comte de Bragelogne etoit sorty, elle l'embrassoit avec tendresse, en lui disant de menager la delicatesse du[dit] comte de Bragelogne qui lui etoit d'une grande ressource pour ses affaires avec son mary ; qu'elle connoit led[it] sieur de Bragelogne pour avoir les mœurs tres depravées, faisant de sa maison un lieu de debauche et de prostitution, proposant au premier venû de coucher chez lui avec des femmes, ayant meme proposé a quelques uns de coucher avec la deposante pendant qu'il coucheroit de son coté avec la dame de Pelletot, ce que la deposante a très fort refusé ; que led[it] s[ieur] de Bragelogne avoit pris un tel empire et une telle autorité sur la deposante qu'il se livroit en sa presence et sans aucune pudeur aux excès les plus abominables, au point qu'elle l'a vû un jour dans la rue de Limoges caresser le nommé Leuillé, son domestique, et se manier indécemment, ayant tous les deux leurs culottes bas, ce qui a obligé la deposante de se retirer ; qu'elle a entendu la dame de Pelletot tenir sur le compte de son mary les discours les plus indecens et les plus injurieux jusqu'a dire qu'il avoit fait tout ce qu'il avoit pû au monde pour la faire mourir de chagrin et de coups en la maltraitant, et qu'elle seroit bien fachée de retourner avec luy et seroit fort heureuse quand elle en seroit debarassée ; qu'elle a vû led[it] sieur de Bragelogne mettre a la porte la nommée Suzette [Suzanne Hussenot, cf. 26 mars 1761 (1)] a neuf heures du soir en disant qu'il etoit le maitre chez la dame de Pelletot, et qu'on ne devoit point y reconnoître d'autres que luy ; que dans la rue de Grenelle, lad[ite] dame de Pelletot a été attaquée d'une maladie qu'elle a qualiffiée de perte de sang pour raison de laquelle elle a été saignée deux fois du bras, et après ensuitte differentes medecines, que la veille que led[it] s[ieur] de Bragelogne et la dame de Pelletot sont party[s] pour la terre de Pelletot, ils se sont dits beaucoup d'injures et de sotises, que led[it] s[ieur] de Bragelogne l'a meme maltraittée et traitté de monstre, de mauvais genie, mauvais caractere, bougresse qui s'etoit adonée au premier venu, que le comte de Roque, l'un de ses amants étoit un fripon, qu'elle avoit un mary qui ne valoit pas mieux et qu'elle ne savoit pas distinguer une personne d'honneur comme luy d'avec un tas de miserables auxquels elle se livroit ; qu'au retour du voiage de Pelletot la deposante ayant rendu compte aud[it] s[ieu]r de Bragelogne qu'il etoit venu differentes personnes faire plusieurs menaces, il en avoit rendu plainte et avoit fait entendre la deposante en temoignage sur cette plainte, dans lequel temoignage elle avoit pû s'expliquer en termes generaux sur la conduitte de la dame Pelletot, n'etant pas obligée de déferer sa turpitude a la justice sans y être forcée ; que le nommé La France, domestique dud[it] Bragelogne, a montré a la deposante le bonnet de nuit de son maitre qu'il avoit trouvé dans le lit de la dame Pelletot, ce qui n'a pas surpris la deposante, puisqu'elle les avoit vus souvent couchés ensemble dans le meme lit ; que la deposante a vû un notaire aporter un papier a signer a laditte dame de Pelletot et que led[it] s[ieu]r comte de Bragelogne a dit que c'etoit une donation de dix mille francs qu'elle lui faisoit, qui est tout ce quela deposante a dit savoir.

Lecture a elle faitte de sa deposition, a dit icelle contenir verité, y a persisté, n'a requis salaire et a signé en cet endroit de la minutte des presentes [...] [N'a requis salaire] (AN, Y 10237, dossier Planström, pièce 1).
L'information se poursuit avec la déposition de Joseph Rémoville (cf. 27 mars 1761 (2)).

Le 7 novembre, lors du récolement :
[Jeanne Françoise Testevuide, veuve Michel, dite la Courbon] ajoute que la dame de Pelletot ne luy a pas dit que le s[ieu]r Roze avoit couché avec elle, mais seulement qu'il avoit voulu couché avec elle, et qu'elle avoit refusé, ajoute aussy que lorsqu'elle a deposé que le s[ieu]r de Bragelonne proposoit de coucher chez luy avec des femmes, elle n'a pas entendu dire qu'il faisait cette proposition au premier venu, ce terme etant beaucoup trop fort, ayant cependant connoissance que le s[ieu]r de Bragelonne a fait cette proposition a deux ou trois personnes (AN, Y 10237, dossier Planström, pièce 20).

Le même jour, lors de la confrontation avec la demoiselle de Planström :
L'accusée a dit pour reproches que le s[ieu]r Beausolle qui a sollicité les temoins contre elle et qui entretient la temoin, a esté surpris couché avec la temoin, qu'elle a en outre un autre amant n[omm]é Colas, officier des Invalides, de même un nommé Parfait, ami de la d[am]e [Servandoni ?], le s[ieu]r Rose, valet de chambre chez M. l'ambassadeur de Suede, le n[omm]é Peintre, surpris couché avec la temoin, et encore d'autres, que la temoin est une f[emm]e prostituée qui a esté deux fois à l'hopital pour debauche et une trois[ièm]e fois pour des libelles qu'elle a donné contre le s[ieu]r de Bragelongne et elle, accusée, et que pendant le voyage d'elle, accusée, en Normandie, elle s'est reünie avec son mary et est entrée dans son complot, que de plus la temoin lui doit quatre mois de pension, et que par tous ces reproches son temoignage doit etre rejetté, n'a proposé d'autres reproches, ajoutant que la temoin prenoit le nom de la Courbon au lieu de celuy de Michel qu'elle prend par sa deposition.
Le temoin repondant aux reproches a dit qu'elle n'a aucuns amants, qu'elle n'a couché qu'avec le sieur Rose par l'entremise du s[ieu]r de Bragelonne, que ledit s[ieu]r de Bragelonne l'a voulu faire coucher avec le s[ieu]r de Beaussol, mais que led[it] s[ieu]r n'a pas voulu d'autant plus que c'est un philosophe qui n'aime pas les f[emm]es et qui ne s'occupe qu'a lire et ecrire, qu'elle n'a couché avec aucun autre, qu'elle convient avoir esté a l'hopital trois fois, dont deux fois par mecontentement de la part de son pere, et ce dans sa jeunesse, il y a vingt ans, et une trois[ièm]e fois en d[erni]er lieu sur les plaintes du s[ieu]r de Bragelonne, qu'elle n'est pas une f[emm]e prostituée, qu'il est faux qu'elle ait esté de complot avec le s[ieu]r de Pelletot pendant le voyage de l'accusée en Normandie, puisqu'elle ne l'a connu que depuis sa sortie de l'hopital, et qu'elle ne l'a vu au plus que trois fois, qu'au reste elle n'a cherché qu'a dire la verité, et soutient ne rien devoir a l'accusée en disant que c'est le s[ieu]r de Bragelonne qui l'a placée chez l'accusée, lequel s[ieu]r Bragelonne recevoit ses revenus et lui retient encore ses meubles, et qu'elle a porté le nom de Courbon, attendu que le s[ieu]r de Bragelonne lui avoit dit que celuy de Michel n'etoit pas assés honorable.
[Lecture déposition et récolement]
L'accusée a dit qu'elle convient d'avoir dit que son mary avoit voulu la faire mourir de chagrin et de coups, qu'elle convient avoir esté malade d'une perte de sang, ce qui peut estre certifié par ceux qui lui ont administré les soins dans cette maladie, qu'elle ne denie pas que le s[ieu]r Rose luy ait fait une fois des propositions deshonnetes, mais qu'elle l'a si bien eloigné, qu'il n'y est pas revenu une seconde fois, que pour le surplus de la deposition, c'est une calomnie concerté avec Suzanne Ussenot qui a esté servante à elle, accusée (AN, Y 10237, dossier Planstrom, pièce 21).

Le même jour, lors de la confrontation avec le comte de Bragelongne :
L'accusé a dit qu'il n'y auroit qu'un seul reproche à faire pour recuser le temoin entierement, 1° parce qu'il est en procès criminel avec elle pour avoir eû part au libelle diffamatoire precedemment repandu contre luy accusé par le s[ieu]r de Pelletot, tant en son nom qu'en celuy nominativement de la temoin presente, pour lesquels libelles diffamatoires sont l'ouvrage de la temoin, a esté decerné un ordre du Roy contre elle pour la detenir à l'hopital, ce qui a esté executé l'année d[ernièr]e, et en outre que la temoin a esté prostituée depuis son mariage et pendant iceluy jusqu'a ce jour pour avoir esté dans des lieux publics, nommement chez la Dubois, abesse d'un mauvais lieux, près la rue des quatre vents, pour lequel sujet ou autre elle a esté deux autres fois à l'hopital. 2° qu'il est en outre en procès civil avec la temoin, qu'elle est du complot du s[ieu]r Pelletot, Beausol et autres, que cette temoin est aussi reprehensible de partialité pour avoir esté en temoignage sur l'origine des libelles diffamatoires qui ont produit l'accusation dont il s'agit, et sur lesquels elle a dû deposer [...], que sans doute elle n'a deposé à la requeste du s[ieu]r de Pelletot par subornation dud[it] s[ieu]r de Pelletot, du s[ieu]r Bellecourt et du s[ieu]r de Beausolle, puisque estant en Normandie la temoin a paru precedemment dans un sentiment tout different par les lettres affectueuses et respectueuses, remplies d'attachement qu'elle a signées et qui estoient ecrites de la main du s[ieu]r de Beausolle son amant, qui a la veille du retour de l'accusé de son voyage en Normandie, commença à adherer à la caballe d'aujourd'huy, d'abord par lui loüer lui meme un cabinet au quatrieme dans la rüe Quicampoix en lui faisant enlever auparavant toutes ses hardes, après avoir ensemble esté fourager dans la commode, de lui, accusé, chez la d[am]e duchesse de Modene dont lui, accusé, lui avoit confié les clefs, pour y soustraire les pieces de sa creance envers l'accusé, que la temoin mange et boit tous les jours avec ses accusateurs et ceux qui forment leur cabale, et qu'enfin le temoin a esté accusée [...] prostituée avec plusieurs des laquais de luy, accusé, notamment avec le n[omm]é Lajeunesse, le n[omm]é Leveillé [i.e. Ratier, cf. 10 décembre 1761 (1)], Peintre [cf. 3 avril 1761 (1)], les s[ieu]rs Colart [cf. 31 mars 1761 (3)], Parfait [cf. 31 mars 1761 (2)], de Beausolle [cf. 31 mars 1761 (1)] [...] de Rose, ce qui cause sans doute des reproches tres puissants contre la temoin.
La temoin repondant aux reproches a dit qu'elle n'a jamais fait aucun libelle diffamatoire contre l'accusé, qu'elle a seulement presenté un memoire a m[adam)e la duchesse de Modene pour obliger l'accusé a lui rendre ses meubles, qu'elle n'est point de la caballe du s[ieu]r de Pelletot, et qu'à peine elle le connoit, ne l'ayant veu que trois fois, qu'elle n'est pas une f[emm]e prostituée, que de tous ceux nommés par l'accusé, elle n'a couché qu'avec le s[ieu]r de Rose, et encore parce que l'accusé la lui a fait connoitre, convient avoir esté trois fois a l'hopital, deux fois par mecontentement de la part de son pere, et la trois[ièm]e fois sur les plaintes de l'accusé qui l'y a faitmettre, qu'il est faux qu'elle vive avec le s[ieu]r de Beaussolle, qu'il est vray qu'elle demeure avec le s[ieu]r de Beaussol qui lui donne du pain, et sans lequel elle en manqueroit, attendu que l'accusé retient ses revenus et ses meubles, que c'est elle meme et non le s[ieu]r de Beaussole qui a loüé le petit cabinet rüe Quincampoix, qu'il est vray que le s[ieu]r de Beaussolle a repondu du loyer de ce petit cabinet, qu'il est encore vray qu'elle est en procès civil avec l'accusé qui l'a fait condamner par defaut pendant qu'elle estoit a l'hopital, qu'il est aussy vray qu'elle a depose a la requeste de l'accusé sur les libelles diffamatoires, lors de quoy elle a dit la verité tout comme elle l'a dit sur l'assignation qui lui a esté donnée a la resqueste du [sieur] de Pelletot, qu'il est vray qu'elle a fait ecrire a l'accusé differentes lettres par le s[ieu]r de Beaussol, et qu'elle a signées, qu'il est faux qu'elle boive et mange tous les jours avec le s[ieu]r de Pelletot et autres, si ce n'est avec le s[ieu]r de Beaussol, et qu'il est pareillement faux qu'elle ait rien soustrait dans la commode de l'accusé.
[Lecture déposition et récolement]
L'accusé a dit que la deposition du temoin est fausse en tous les points, et que si elle eût esté aussi scandalisée qu'elle l'a dit, elle ne seroit pas resté vingt sept mois dans la maison de lui, accusé (AN, Y 10237, dossier Planström, pièce 22).

Le témoin est également évoqué dans le factum du comte de Bragelongne (cf. [Décembre] 1762 (2)) et celui de la demoiselle de Planström (cf. [Décembre] 1762 (1)).
Abréviation
  • AN : Archives nationales.
Courcelle (Olivier), « 26 mars 1761 (2) : Les sœurs Planström : déposition veuve Michel », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n26mars1761po2pf.html [Notice publiée le 4 mai 2009].