Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


13 juin 1737 (1) : Pitheå :
En arrivant à midi au vieux Pitheå, comme M. Celsius voulait nous mener avec lui chez le proubst ou le curé, nous avons été bien surpris de voir un des domestiques que M. de Maupertuis avait embarqués avec lui. Il nous a dit que le vaisseau était échoué sur la côte, à deux mils de la ville de Pitheå, dont nous étions éloignés d'une bonne lieue de France ; que ces Messieurs s'étaient rendus à la ville, et nous priaient de les y aller trouver : nous partîmes sur le champ, et nous y allâmes dîner avec eux ; et nous prîmes des arrangements pour continuer la route, après que M. de Maupertuis nous eut fait l'histoire de son naufrage. Voici ce que j'en ai retenu.

À peine le vaisseau que ces Messieurs montaient, et qui était parti de Půrralakti à 7 heures du soir le dimanche [cf. 9 juin 1737 (1)], eut fait sa route par un bon vent pendant trois ou quatre heures, que le vent changea et devint impétueux : ils furent battus de la tempête tout le lundi. Le matin du mardi, M. Sommereux vit de son lit le pilote très inquiet et très agité, et apprit de lui que le vaisseau faisait beaucoup d'eau. À cette nouvelle tout le monde se leva, et se mit en mouvement ; ils n'avaient qu'une seule pompe, à laquelle les uns travaillaient continuellement, pendant que d'autres vidaient l'eau avec des seaux par les écoutilles. Dès qu'on cessait un instant de travailler, l'eau gagnait le dessus. Le vent changeait continuellement : on monta souvent à la hune, et on ne voyait point les terres ; on découvrit seulement au loin de grandes plages blanches, que l'on crut être des glaces flottantes sur le golfe. Enfin ce même jour, sur le soir le vent fut meilleur. Le pilote fit la route à toutes voiles pendant que l'on continuait à vider l'eau ; et on découvrit enfin la côte de Westrobothnie. Le pilote qui était expérimenté, et avait beaucoup fréquenté cette côte, reconnut un endroit propre à échouer son vaisseau ; et il le fit si à propos et avec tant de ménagement, que le vaisseau n'en fut nullement endommagé. On avait jeté à la mer une partie des planches dont le vaisseau était chargé ; dès qu'on fut échoué, on mit promptement à terre tout le reste, tous nos ballots et tous nos instruments. C'était au bord d'un bois ; les domestiques y dressèrent les tentes, et s'y établirent, pendant que M. de Maupertuis et ses compagnons de naufrage se rendirent à la ville de Pitheå (Outhier 44, pp. 168-170).

Le naufrage selon Voltaire dans Micromégas :
On sait que dans ce temps là [un peu après le 5 juillet 1737 selon le texte de Voltaire] même une volée de philosophes revenait du cercle polaire, sous lequel ils avaient été faire des observations dont personne ne s'était avisé jusqu'alors. Les gazettes dirent que leur vaisseaux échoua aux côtes de Bothnie, et qu'ils eurent bien de la peine à se sauver : mais on ne sait jamais dans ce monde le dessous des cartes. Je vais raconter ingénument comme la chose se passa, sans y rien mettre du mien ; ce qui n'est pas un petit effort pour un historien.
Chapitre V
Expériences et raisonnements des deux voyageurs.
Micromégas étendit la main tout doucement vers l'endroit où l'objet paraissait, et avançant deux doigts, et les retirant par la crainte de se tromper, puis les ouvrant et les serrant, il saisit fort adroitement le vaisseau qui portait ces Messieurs, et le mit encore sur son ongle, sans trop le presser, de peur de l'écraser. Voici un animal bien différent du premier, dit le nain de Saturne ; le Sirien mit le prétendu animal dans le creux de sa main. Les passagers et les gens de l'équipage, qui s'étaient crus enlevés par un ouragan, et qui se croyaient sur une espèce de rocher, se mettent tous en mouvement ; les matelots prennent des tonneaux de vin, les jettent sur la main de Micromégas, et se précipitent après. Les géomètres prennent leurs quarts de cercle, leurs secteurs, deux filles lapones, et descendent sur les doigts du Sirien. Ils en firent tant, qu'il sentit enfin remuer quelque chose qui lui chatouillait les doigts ; c'était un bâton ferré qu'on lui enfonçait d'un pied dans l'index : il jugea, par ce picotement, qu'il était sorti quelque chose du petit animal qu'il tenait ; mais il n'en soupçonna pas d'abord d'avantage (Voltaire 29-34, vol. 33, pp. 181-182).

De fait, les Lapones étaient probablement dans le bateau, puisque Maupertuis les abandonne à Stockholm (cf. 31 janvier 1738 (1)).

Voltaire les citera encore à l'occasion des Discours en vers sur l'Homme et du Dialogue d'un Parisien et d'un Russe (cf. [c. octobre 1735]).

Elles retrouveront Maupertuis en France (cf. 20 septembre 1736 (3)).

C'est peut-être ce naufrage qu'évoquera Clairaut à Ferner le 17 décembre 1760 (cf. 17 décembre 1760 (2)).
Références
Courcelle (Olivier), « 13 juin 1737 (1) : Pitheå », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n13juin1737po1pf.html [Notice publiée le 4 janvier 2009, mise à jour le 11 décembre 2010].