Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


30 septembre 1747 (1) : Euler (Berlin) écrit à Clairaut :
Monsieur,

L'attention, dont vous avez bien voulu daigner ma pièce sur Saturne [(Euler 49b), cf. 11 septembre 1747 (1)], m'oblige infiniment, et si les autres pièces, qui concourront, auront moins bien réussi que moi dans cette matière si épineuse, ce sera à vous tout seul, que je devrais être redevable du prix. Mais il me faut aussi justifier des reproches, que vous me faites au sujet des lois de votre Académie, qu'il vous semble, que je n'aie pas bien observées. Vous dites que je n'aurai pas dû envoyer ma pièce écrite de ma propre main, mais il me semble que cela devrait être sans aucune conséquence, puisqu'il me serait permis de prêter ma main à un de mes amis, et de copier sa pièce, qu'il voudrait envoyer à votre Académie. Donc à mon avis, si vous avez d'abord reconnu ma main, votre jugement, que la pièce serait de moi, me parait un peu précipité, attendu que vous auriez dû conclure, que la pièce était d'un de mes amis, à qui j'aurais prêté ma main. Par cette raison, il n'y a que la manière de traiter cette question, qui puisse justifier votre soupçon, que la pièce, dont vous m'écrivez, soit de ma façon ; et comme il est impossible de déguiser la manière de penser, je me crois tout à fait excusé, si votre soupçon est bien fondé.

Que les forces qui agissent sur la Lune, ne suivent pas exactement la règle de Newton, je puis alléguer plusieurs preuves, et en effet celle que vous tirez du mouvement de l'apogée est la plus éclatante, et je l'ai fort bien remarquée dans mes recherches sur la Lune [(Euler 47a)], où j'ai trouvé que selon la théorie newtonienne, le mouvement moyen de la Lune devrait être au mouvement de l'apogée comme 10 000 000 à 41 046, au lieu que les observations donnent 10 000 000 à 84 477, le nombre 84 477 étant plus que deux fois plus grand que 41 046, comme vous remarquez. Le mouvement de la ligne des nœuds, quoique la théorie soit assez d'accord avec les observations, pourtant la petite différence peut aussi suffire de montrer l'insuffisance de la théorie, et par ce que vous m'avez bien voulu communiquer de vos recherches sur la Lune [C. 33], je vois clairement que vous avez entrepris la solution presque sur le même pied que moi, mais puisque vous ne m'avez pas expliqué la signification de toutes les lettres que vous employez, je ne saurais dire en quoi nos déterminations sont différentes. Pour ma méthode, vous en serez entièrement éclairci, quand je vous dis qu'elle est la même, dont je me suis servi pour Saturne, et que la principale chose se trouve dans l'anomalie, que je nomme excentrique, que j'ai introduite dans le calcul, par le moyen de laquelle j'ai trouvé moyen d'intégrer les équations différentio-différentielles par approximations, dont voici le résultat. [maths] Mais en examinant les observations, j'ai trouvé que leurs valeurs sont différentes. M. Bradley m'a communiqué un grand nombre d'observations, dont j'ai déjà pu déterminer ces coefficients en sorte, que le calcul ne diffère jamais plus de 5' des observations ; et comme ces erreurs ne peuvent être attribuées aux observations, je ne doute pas, qu'un certain dérangement des forces, qu'on suppose dans la théorie, n'en soit la cause. Cette circonstance me rend les tourbillons ou quelconque autre cause matérielle de ces forces très probable, puisqu'il est alors aisé de concevoir, que ces forces doivent être altérées, quand elles sont transmises par quelque autre tourbillon. Ainsi je soupçonne que la force du Soleil sur la Lune est altérée considérablement dans les oppositions, parce que alors elle passe par le tourbillon de la Terre. Et de même je crois que la force du Soleil sur les planètes supérieures est dérangée à cause des atmosphères ou tourbillons des inférieures ; et par la même raison la force de Jupiter sur Saturne dans les oppositions doit être considérablement dérangée. Par là on concevra aisément, que les planètes supérieures, même sans avoir égard à leur action mutuelle, sont sujettes à des plus grands dérangements que les inférieures ; et cette explication me paraît plus probable que celle que vous soupçonnez, que les forces soient comme 1/dist2 plus une petite fonction des distances assez sensible à de petites distances ; car quoi que la Lune semble confirmer cela, pourtant le mouvement de Mercure me paraît renverser cette explication. Quand vous examinerez mes calculs des observations de Saturne, je vous prie de remarquer, que ces observations peuvent être fort défectueuses à cause des intervalles de temps souvent assez grand entre les observations, dont on a conclu les oppositions, et je me flatte, que si j'avais eu plusieurs observations semblables à celle que M. Le Monnier m'avaient communiquées, j'aurais été en état d'assigner pour tout temps la place de [Saturne] à un[e] ou deux minutes près, au lieu qu'à présent les erreurs montent encore jusqu'à 5', ce qui est pourtant peu de chose, quand on regarde les erreurs des tables ordinaires, dont les meilleures peuvent différer des observations jusqu'à 20' et au-delà.

M. de Maupertuis m'a chargé de vous faire ses compliments, et pour moi je suis avec toute l'estime imaginable, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur L. Euler.

Berlin, ce 30 sept[embre] 1747 (O IVA, 5, pp. 175-177).
Clairaut répond à Euler le 7 décembre (cf. 7 décembre 1747 (1)).
Abréviations
Références
  • Euler (Leonhard), « Recherches sur le mouvement des corps célestes en général », Histoire de l'Académie royale des sciences et des belles-lettres de Berlin, 3 (1747) 93-143 [Télécharger] [6 septembre 1747 (2)] [11 septembre 1747 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Recherches sur la question des inégalités du mouvement de Saturne et Jupiter », Pièce qui a remporté le prix de l'Académie royale des sciences en 1748, Paris, 1749 [Télécharger] [10 juin 1747 (1)] [3 septembre 1747 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 30 septembre 1747 (1) : Euler (Berlin) écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n30septembre1747po1pf.html [Notice publiée le 24 mai 2010].