Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


Avril 1742 (1) : Euler (Berlin) écrit à Clairaut :
À Monsieur Clairaut M. April 1742.

Vous m'écrivez que dans la matière sur les suites, dont je vous ai entretenu dans ma précédente [cf. [3 février 1742]], vous ne connaissiez que la somme de la série [maths].

Je vous demande excuse, que je vous entretiens sur une matière si sèche [théorie des nombres], qui vous sera peut-être ennuyante : mais comme ce sont des vérités, qui en soi même méritent quelque attention, je ne crois pas qu'il convient de les négliger tout à fait, d'autant plus, qu'elles sont bien recherchées et qu'elles servent à la connaissance des nombres.

Vous me mandez, Monsieur, que vous aviez fondé votre ouvrage sur la figure de la Terre [C. 29] sur les mêmes principes que M. Bouguer [(Bouguer 34)], et que même vous aviez démontré, que pour qu'une masse fluide soit en équilibre, il faudrait encore plus, que l'accord de ces deux principes, mais bien loin, que cela diminue mon désir de voir votre ouvrage, j'en suis d'autant plus curieux, de voir des difficultés très importantes développées. Car je conviens que les colonnes peuvent être en équilibre, sans que les directions de la gravité soient perpendiculaires à la surface, et je conviens aussi, que l'un et l'autre est également nécessaire pour que tout soit en équilibre. Mais nonobstant cela, voilà mes difficultés : un système de corps n'étant pas en équilibre, il s'en suit nécessairement un mouvement, mais ce mouvement tend toujours vers l'état d'équilibre : cette règle me semble générale, c'est pourquoi je ne puis concilier comment un mouvement se peut faire lors qu'il n'y a point d'état d'équilibre. Par cette raison, on a jusque à présent voulu démontrer l'impossibilité du mouvement ; mais dans ce cas dont je parle, il me semble que l'on ne le puisse pas nier. Car en pourrait-on inventer une telle machine, en employant diverses forces, comme la gravité, le ressort, le magnétisme, etc. où il n'y ait non plus d'équilibre ? Une telle machine serait en effet un mouvement perpétuel parfait. Alors les forces se devraient continuellement augmenter, à cause que toutes les parties sont incessamment sollicitées, et cela devrait aller à l'infini, sinon la résistance et la friction mettaient des bornes. Voilà des difficultés que je ne saurais résoudre, et je voudrais que vous y ayez réfléchi. Pour ce qui regarde le mouvement perpétuel, la fameuse machine d'Orfiré vous sera sans doute connue, car elle fait beaucoup de bruit et personne n'a pu découvrir aucune fourberie. Ce maître voulant donner la raison de son mouvement perpétuel, disait que la machine cherchait continuellement l'état de l'équilibre mais qu'elle n'y pourrait jamais parvenir, peut-être que cet homme a trouvé un moyen de construire qui manquait d'état d'équilibre. Vous verrez par là de quelle importance votre ouvrage pourra devenir, car ayant bien développé ce qu'il faut, pour ôter l'état d'équilibre, on trouvera peut-être aisément le mouvement perpétuel ; je ne parlerai point d'autres suites, qui ne seront pas moins surprenantes dans la théorie du mouvement des corps.

Comme j'ai vu du dernier tome de vos mémoires, nous nous sommes encore rencontrés dans la recherche des phénomènes qui résultent de la propagation successive de la lumière [C. 24], mais ma pièce [(Euler 39)] que j'ai donnée à Pétersbourg il y a environ 4 ans ne paraîtra pas si tôt. J'ai aussi appliqué cette correction aux observations des planètes, où il me semble qu'elle est absolument nécessaire. Car pour Mercure, elle peut causer une différence d'une minute à peu près. De là j'ai aussi tiré une démonstration pour le système Copernicanum, car accordant le mouvement de la lumière, si vous ferez le calcul dans le système de Ptolémée, vous trouverez les corrections qu'il faudrait employer aux observations des étoiles fixes imaginaires, de sorte que nulle étoile fixe pourrait être visible. Et c'est il me semble le seul phénomène qui ne puisse être expliqué dans le système de Ptolémée [!].

Pour ce qui regarde M. Kuhn [Kühn] de Danzig, je suis déjà plusieurs années en correspondance, par l'entremise de M. Ehler, bourgmestre de cette cité. Il est assez bon mathématicien pour l'Allemagne, car j'en connais peu qui lui soient préférables. Ce qui regarde la physique, c'est une chose de fait, si la surface de la Terre et même de la mer est si inégale, comme cet homme soutient, et le veut prouver par expérience. J'ai allégué cet exemple, tout paradoxe qu'il me paraît d'ailleurs, pour former la question : si peut-être la Terre se trouve dans un tel état qui n'ait point d'équilibre.

L'état de notre société ici n'est pas encore formé, car cela dépend directement de notre auguste Roi. Vous m'exhortez à travailler sur la cause de l'aimant ; je vous en suis infiniment obligé, et je vous puis assurer, que j'y ai déjà bien pensé : mais après toutes les recherches tant que j'ai trouvées ailleurs que faites moi-même, j'ai reconnu que je n'étais pas en état de satisfaire au moindre phénomène : et j'ai lieu de craindre qu'à l'avenir je ne sois plus heureux dans cette matière [!, cf. 20 avril 1746 (1)] (O IVA, 5, pp. 120-126).
Clairaut répond à Euler le 29 mai (cf. 29 mai 1742 (1)).
Abréviations
Références
  • Bouguer (Pierre), « Comparaison des deux lois que la Terre et les autres planètes doivent observer dans la figure que la pesanteur leur fait prendre », HARS 1734, Mém., pp. 21-40, 1pl [Télécharger] [Bouguer] [2 octobre 1738 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Explicatio phaenomenorum quae a motu lucis successive oriuntur », Commentarii academiae scientiarum Petropolitanae, 11 (1739) 150-193 [11 décembre 1737 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « Avril 1742 (1) : Euler (Berlin) écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/nAvril1742po1pf.html [Notice publiée le 2 janvier 2010].