Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


19 février 1748 (1) : Calandrini (Genève) écrit à Clairaut :
Copie de la lettre adressée a Monsieur Clairaut en datte du 19e fev[rier] 1748 en reponse a la sienne du... 1748 et a son memoire [Remarques (cf. 23 décembre 1747 (2))] y joint.

Monsieur rien n'est plus obligeant que votre attention a me communiquer votre memoire concernant les Principes de Mr Newton et le Commentaire sur cet ouvrage [(Jacquier 39-42)]. La manière dont vous me refutez dans ce mémoire est telle qu'il n'est pas possible de se plaindre d'une pareille refutation, et elle est accompagnée de tant d'éloges qu'il me semble même avantageux d'avoir eu cette occasion d'obtenir des témoignages aussi flatteurs de votre approbation. Ainsi je ne vous prierai point de changer quoyque ce soit à ce mémoire à moins que les réflexions que je joindray a cette lettre ne puissent vous faire penser que ma methode bien developée n'a pas en effet les défauts que vous lui attribuez mais quand ces défauts seroient réels vous en parlez avec tant de menagement[s] que mon amour propre pourroit en convenir sans en etre fort mortifié.

J'ay été veritablement affligé d'avoir été l'occasion de discours peu equitables sur votre dernier ouvrage [C. 33]. Je puis vous assurer et je vous en feray telle déclaration qu'il vous plaira que je n'ay p[oin]t du tout pensé avoir découvert l'insuffisance de la loy d'attraction newtonie[nne] et que je souscris sans difficulté p[ou]r ce qui me concerne a la conclusion de votre mem[oi]re, que vous ne devez a personne la remarque que v[ous] avez faite sur l'insuffisance de la loy des quarrés des distances. Mais permettez moy de v[ous] dire que je ne conviens pas égalem[en]t avec v[ous] sur les deux remarq[ue]s que v[ous] faites sur la methode que j'employe pour calculer le mouvem[en]t de l'apogée. La 1ere roule sur la supposition que j'ay faite que la force qui produit le mouvem[en]t de l'apogée peut être regardée comme constante pendant un instant. L'autre remarque regarde l'omission de la force p[er]pendiculaire au rayon. Je ne puis m'empecher de v[ous] prier de faire quelque attention sur ces deux articles, et sur le 1er chef, d'observer que ma supposition n'emporte que ceci : ayant l'expression (F/a)(3yy+6ydy+3dy2))/r-r on doit considérer les termes (6ydy+3dy2)/r comme evanouis et ne prendre cette expression que pour (F/a)(3yy/r)-r. Or M[onsieu]r c'est la le premier principe du calcul infinitesimal et non seulement j'ay pû regarder ce terme (F/a)(3yy+6ydy+3dy2))/r-r, comme etant (F/a)(3yy/r)-r, mais même je n'ai pas du faire autrement. Ayez la bonté de me suivre dans la demonstration que je vais donner que ma supposition ne revient qu'a cela. Il vous importe sans doute de ne pas faire une critique d'une operation faite suivant les regles les plus communes. Ce qui a pû la deguiser a vos yeux, c'est que vous avez changé mes expressions en celles de votre propre calcul. Je crois donc devoir reprendre les expressions dont je me suis servi et rapeller quelques propositions qui m'ont servi de principes.

Theor[ème] IV. pag[e] 479 (fig. 1.) [(Jacquier 39-42, vol. 3, p. 479)] Soit T la Terre, P la Lune et CADB le cercle qu'elle decrit, ST=a, distance moyenne du Soleil a la Terre, soit F la force du Soleil sur la Terre a cette moyenne distance, PT=r moyenne distance de la Lune a la Terre, soit l'arc CP=u, distance de la Lune a la precedente quadrature, soit PK=y le sinus de l'arc u. Je dis que la partie de la force du Soleil qui agit sur la Lune suivant la direction du rayon PT est partout (F/a)(3yy/r)-r. La demonst[ration] de ce théor[ème] est fondée sur la prop[osition] LXVI du 1er Livre et sur la prop[osition] XXVI du 3e. À ce theor[ème] est joint un corollaire pag[e] 480 qui porte que quand la Lune seroit transferée dans un autre cercle dont le rayon seroit ρ, comme (fig. 2) en acdb ou αχδβ, de sorte neantmoins que l'arc qui mesureroit son éloignem[en]t de la quadrature fut toujours d'un même nombre de degrez, la force du Soleil qui agit sur la Lune suivant la direction du rayon suivroit la proportion de ces rayons et seroit (ρ/r)(F/a)(3yy/r)-r.

Ces principes posez, venons a l'article du mouvem[en]t des apsides pag[e] 509. Soit V une force centrale constante, et Y une force centrale croissant proportionnellem[en]t aux distances. Je trouve dans le lem[me] II pag[e] 509 en suivant exactem[en]t la meth[ode] de la prop[osition] XLV de M. Newton que le mouvem[en]t de l'apside pendant une revolution entière est 360√((r3V-T3Y)/(r3V-4T3Y)). Pour appliquer ce calcul au mouvem[en]t de l'apogée de la Lune (Theor. I pag 511), je prends V pour la force constante de la Terre sur la Lune a la distance mediocre r, et je prends Y pour la force du Soleil dirigée suivant le rayon de la Terre en tant qu'il ne s'agit que du mouvem[en]t de l'apogée pendant que la Lune décrit un arc infinim[en]t petit du, et je dis que pendant ce tems cette force Y doit etre regardée comme constante, c'est ce que vous me contestez, et c'est ce que la construction cy jointe rendra sensible. Soit (fig 3) l'arc CP=u, l'arc Pp sera du, soit PM=y, on aura pour sinus de l'arc CP+Pp la ligne pm=y+dy. La force du Soleil sur la Lune dirigée suivant le rayon de la Terre sera en P suivant le coroll[aire] du theor[ème] IV (ρ/r)(F/a)(3yy/r)-r, mais l'orbite de la Lune etant circulo finitima, on aura la fraction ρ/r=1, donc au point P, on aura Y=(F/a)(3yy/r)-r. Que la Lune aille de P en p, pour avoir la valeur de Y, il faudra substituer dans cette expression, à la place de y, le nouveau sinus pm=y+dy. On aura donc pour la force du Soleil quand la Lune sera parvenue en p, Y=(F/a)(3yy+6ydy+3dy2)/r-r. Mais les termes 6ydy+3dy2 doivent être négligez lorsqu'ils se trouvent dans une même expression avec 3yy, suivant les regles du calcul des infiniments petits, donc au p[oin]t p la force Y=(F/a)(3yy/r)-r, mais au point P elle etoit aussi (F/a)(3yy/r)-r, donc elle est la même au point P et au point p, donc si on considère l'arc Pp comme infinim[en]t petit la force Y demeure constante pendant que la Lune décrit ce petit Pp=du. C. Q. F. D.

Cette demonst[ration] est trop simple pour qu'elle puisse laisser le moindre doute, ainsi je crois qu'il faut changer quelque chose a cette réflexion que v[ous] faites dans votre mem[oi]re sur le resultat de mon calcul : « mais ce resultat bien loin de me confirmer – car je ne crois point du tout qu'il soit permis de regarder comme constant le coefficient – quoy que ce ne soit que pendant un instant ». Je crois au contraire et j'espère qu'apres ce que je viens de vous dire vous le penserez comme moy, qu'il n'est pas permis de ne pas regarder comme constant ce coefficient, lorsqu'il ne s'agit que d'un instant.

Vous m'objectez encore dans votre mem[oi]re que dans cette solution je n'ay point fait attention a la force p[er]pendiculaire au rayon ; mais dans votre lettre v[ous] m'aprenez que v[ous] avez une demonstration pour prouver que cette force p[er]pendiculaire au rayon doit être omise. Il est donc vray que cette omission ne fait aucun défaut dans ma méthode. Dans votre lettre v[ous] me dites que ce reproche ne tombe que sur ce que j'aurois du faire voir que cette omission etoit legitime. Il peut être que mon comm[entai]re eut eté en ce cas plus exact, mais les prop[ositions] 26, 28 et29 du 3e Liv[re] de Mr Newton roulant uniquem[en]t sur cette force p[er]pendiculaire au rayon et epuisant en quelque sorte la considération de ses effets, il pouvoit paroitre assez inutile d'y revenir. On trouve dans ces propos[itions] ce qu'elle produit pour le mouvem[en]t de la Lune et pour la courbure de son orbe, on y voit que dans un orbe circulaire elle est égale et opposée a elle même dans les deux quartiers contigus aux syzygies, qu'ainsi dans une orbite circulo finitima (qui est le cas dont il s'agit) ses effets se compensent continuellement. Je dis positivem[en]t dans le theor[ème] IV pag[e] 479 qu'elle n'affecte point la force centrale, et dans la meth[ode] de la prop[osition] XLV de Mr Newton il ne peut etre question que des forces qui affectent les forces centrales, car la revolution du plan de l'orbite ne produit qu'une force dirigée au centre du mouvem[en]t. Tout cela peut passer pour l'equivalent de cette proposition : « On doit négliger la considération de la force p[er]pendiculaire au rayon ». J'ose vous assurer, que je me croiois bien fondé, apres tout ce qu'on avoit dit fort au long au sujet de cette force, a n'y avoir point d'égard. Je ne me suis point trompé dans cette pensée ; vous en avez la demonst[ration], et mon seul défaut etant de n'en avoir pas fait une demonst[ration] a part, je ne vois pas qu'il importe en aucune manière a votre cause de relever une omission de si petite conséquence. Ainsi, Monsieur, en supposant que v[ous] avez trouvé juste ma demonst[ration] que la force du Soleil etc. doit etre regardée comme constante pendant que la Lune décrit un arc infiniment petit, et que v[ous] trouvez aussi que le reproche sur l'omission de la force p[er]pendiculaire au raion n'est pas aussi grave qu'il a d'abord vous paroitre, il ne reste contre ma methode que aucune objection qui l'invalide, et a la place de cette refutation de ma methode qui faisoit la 2[n]de partie de votre mem[oi]re vous pourriez substituer la déclaration très positive que je fais que bien loin d'avoir cru decouvrir l'insuffisance de la loy d'attraction newt[onienne], j'ay seulem[en]t pensé que la methode de Mr Newton p[our] trouver le mouvem[en]t des apsides etoit insuffisante parce qu'elle négligeoit la consideration de l'excentricité.

Mais, M[onsieu]r, en supposant que j'ay fait voir que ma methode et que l'application que des exempla tertia de la prop[osition] XLV nous conduisoit tres clairement a déterminer le mouvem[en]t de l'apogée la moitié plus petit qu'il n'est veritablem[en]t, est-il croyable que Mr Newton n'ait point fait un calcul si simple, que je ne me fais pas grand honneur d'avoir imaginé ? Peut-on douter qu'il n'ait connu comme moy que la force du Soleil sur la Lune suivant la direction du raion peut s'exprimer par (F/a)(3yy/r)-r, sa prop[osition] LXVI [!] mais surtout sa prop[osition] XXVI du 3e Liv[re] ou il calcule la force p[er]pendiculaire au rayon a du lui donner cette même expression, comme je le feray voir tout a l'heure. S'il a eu cette expression en l'appliquant a ses exempla tertia de sa prop[osition] XLV, n'a-[t-]il pas pu voir aussi bien que moy, que cette force etant variable lorsque la Lune etoit a différentes distances de la quadrature, elle pouvoit et devoit être regardée comme constante pendant que la Lune decrivoit un arc infinim[en]t petit, et qu'ainsi il avoit l'element du mouvem[en]t de l'apside comme je l'ay eu. Et s'il avoit cet elem[en]t, l'integration ne s'ensuivoit-elle pas ? Aussi je déclare que je n'ay pas pensé decouvrir une chose nouvelle en deduisant que le mouvem[en]t de l'apside calculé suivant la méth[ode] de Mr Newton etoit la moité du vray, je n'ay pas douté que Mr Newton ne l'ai sçu comme moy, et j'ai crû qu'il en laissoit transpirer quelque chose dans ce qu'il dit aux exempla tertia, voilà pourquoy j'ai mis « ut observat Newtonus », quoy qu'a la verité, je trouve qu'il ne le decouvre pas assez clairement. En un mot, voici mon raisonnement, ma methode pour trouver le mouvem[en]t des apsides suivant les principes newtoniens est fort simple et fort juste, seroit-il possible que Mr Newton l'eut ignorée ?

S'il ne l'a point ignorée, tout ce que v[ous] dites dans la 1re partie de votre mem[oi]re pour decouvrir la source de l'erreur ou seroit tombé Mr Newton a cet égard est sans doute ingénieusement trouvé, mais en même tems est sans fondement, car si Mr Newton a suivi ses propres principes comme je les ai suivis, il a du croire que la loy d'attraction appliquée suivant sa méthode ne donnoit que la moitié du mouvem[en]t de l'apogée au lieu que dans cette 1re partie de votre mem[oi]re v[ous] supposez qu'il a cru que sa loy d'attraction auroit donné en suivant sa methode le mouvem[en]t entier de l'apogée. Votre grande raison pour penser que Mr Newton n'a pas vu que sa méth[ode] ne donnoit que la moitié du mouvem[en]t de l'apogée, c'est que dans « l'expression de la force pertubatrice du Soleil, il n'y en a que la moitié qui puisse etre exactem[en]t traitée par la méth[ode] de la prop[osition] XLV – et l'autre terme renfermant de plus l'elongation du Soleil a la Lune ne pouvoit être exactem[en]t resolu par cette proposition, qu'ainsi il falloit commencer par mettre a part cette moitié du mouvem[en]t de l'apogée comme bien sure. Or comme l'autre terme ne pouvoit pas être négligé il a du penser que cet autre terme doit servir à former l'autre moitié du mouvem[en]t de l'apogée. » Tout ceci est fondé sur cette supposition que l'expression de la force pertubatrice ne peut etre traitée exactement suivant la methode de la proo[osition] XLV. Or il est évident par ce que j'ay dit cy dessus sur mon theor[ème] I pag[e] 511, que toute cette expression de la force pertubatrice est traitée exactem[en]t par la meth[ode] de la prop[osition] XLV. Donc il n'y a nulle raison de soupçonner que Mr N[ewton] n'a pas vû que sa meth[ode] ne donnoit que la moitié du mouvem[en]t de l'apogée.

Ce qui peut avoir contribué a répandre quelque nuage sur tout ceci, c'est que vous attribuez a Mr N[ewton] pour l'expression de la force pertubatrice une expression differente de celle cy (ρ/r)(F/a)(3yy/r)-r qui est celle qui resulte tout naturellement de la prop[osition] XXVI dans laquelle Mr N[ewton], distinguant la force agissant le long du rayon d'avec celle qui luy est p[er]pendiculaire, fait un calcul pour celle cy qui conduit comme par la main au calcul qu'il auroit fait pour avoir la premiere : Soit (Fig. 1ere) CADB l'orbite de la Lune, T la Terre, P la Lune, et PL etant la partie de la force du Soleil agissant suivant la direction de L en P, et LM=PT etant l'autre partie de cette force agissant de L en M, ces deux force se reduisent a la force LT, et menant LE perpendiculaire sur le rayon, cette force TL se reduit aux forces TE, LE. P[ou]r avoir la force LE considérant les deux triang[les] semblables PRT, PLE il fait cette proportion TP:TR=PL(=3PR):EL=(3PR.TR)/TP. Voila l'expression de Mr N[ewton] luy même, d'ou je conclus que lorsqu'il a voulu considérer la force TE qui est la force pertubatrice du Soleil suivant la direction du rayon, il aura tiré de ces memes triangles cette proportion TP:PR=PL(=3PR):PE=(3PR.PR)/TP et puisque PE-PT=TE, il aura eu TE = (3PR.PR)/TP-TP ainsi nommant TP=r et PR=y, il aura eu TE=3yy/r-r.

Il me paroit que sa construction le conduit précisem[en]t a cette expression qui est fort différente p[ou]r la forme de celle que v[ous] employez. Or cette forme ne l'auroit jamais conduit aux conséquences que v[ous] luy attribuez, car la partie constante -r luy auroit donné la retrogression de l'apogée et non pas la moitié de son mouvement progressif. Il pourroit donc bien être que la conjecture que v[ous] faites que Mr N[ewton] a été dans l'erreur ne seroit pas solide puisque vous ra[p]portez la cause de cette erreur a une méprise occasionnée par une expression qui probablem[en]t n'est pas celle dont il s'est servi.

Mais, M[onsieu]r, quoy qu'il en soit de l'erreur de Mr N[ewton] et de sa cause, je suis bien dans votre pensée, que dans tout son livre des Principes, il n'a p[oin]t mis en doute la suffisance de sa loy du quarré des distances, ce qu'il est dit dans sa prop[osition] III du III[e] liv[re] en est une tres bonne preuve, que v[ous] develop[p]ez fort bien, et on ne peut rien de plus fort en votre faveur p[ou]r faire voir que M. N[ewton] n'a point pensé non plus que moy a l'insuffisance de la loy des quarrez, ce qui est le but principal de votre memoire.

Je dois rendre raison pourquoy, ayant parfaitem[en]t connu que la meth[ode] de Mr N[ewton] ne donne que la moitié du mouvem[en]t de l'apogée, je n'en ai pas tiré comme vous cette conséquence que la loy des quarrez etoit insuffisante, c'est qu'avant que de douter de la verité de cette loy, j'ay cru devoir examiner si la meth[ode] dont Mr N[ewton] s'etoit servi etoit complette, et ayant remarqué que cette meth[ode] supposoit que l'excentricité de l'orbite de la Lune etoit insensible au lieu qu'elle est une vingtième de la moyenne distance, j'ay essayé si on ne pouvoit point trouver quelque autre meth[ode] de calculer le mouvem[en]t de l'apogée et, m'etant servi d'une meth[ode] relative a celle de maximis et minimis, qui a toujours été appliquée aux cas dans lesquels il s'agit de trouver les plus grandes et les plus petites distances d'une courbe a un point ou a une ligne donnée, et nommant r la moyenne distance, f l'excentricité et fais[an]t τ=r+f, A etant l'année tropique, P le mois périodique, j'ay trouvé pour le mouvement des apsides (f/τ)(A/P)(69°7132/1+ (f/τ)(69°7132/360))=(A/P)(f.69°7132.360/360τ+69°7132f), expression dont la valeur depend entierem[en]t de celle de l'excentricité f. D'où j'ai conclu que l'erreur qui se trouvoit dans le calcul du mouvem[en]t de l'apogée venoit uniquemt. du défaut de la meth[ode] dont on s'etoit servi et non de la loy générale de la gravité. J'avoüe que quand il a été question de substituer à la place de f sa valeur, j'y ai trouvé quelque embarras, et c'est cet embarras qui a donné lieu a toutes les déclarations que j'ay faites sur l'imperfection de cette methode, imperfection qui ne fait rien neantmoins a la conclusion que j'en voulois tirer.

L'excentricité f qui doit entrer dans ce calcul est une quantité variable, et même a plus d'une egard, elle depend de la distance de la ligne des apsides au Soleil, et de la distance de la Lune au Soleil : il falloit donc de nouvelles intégrations pour conduire cette solution a sa perfection. J'aurois peut etre vaincu cette difficulté, et les principes de mon calcul se trouvent dans mon theor[ème] I sur l'excentricité, mais je m'en suis dispensé, parce que je prevoiois que vos calculs qui determinent la courbe de l'orbite lunaire a priori, rendroient les miens inutiles, et d'ailleurs j'etois parvenu au but que je m'etois proposé, qui etoit de faire voir que la considération de l'excentricité devoit entrer dans le calcul du mouvement des apsides, et que c'etoit de cette omission que venoit l'ecart de la methode de Mr N[ewton], et pour faire voir que cette considération de l'excentricité suppleoit a ce qui manquoit a ce calcul, il suffisoit de prendre, entre les différentes valeurs que l'excentricité pouvoit avoir, une excentricité moyenne et de l'appliquer au calcul, et puisque cette substitution donnoit même au dela du mouvement réel de l'apogée, on pouvoit aisément comprendre que l'on auroit eu le véritable mouvement des apsides si on eut introduit dans le calcul l'excetricité variable telle qu'elle l'est en effet.

J'ap[p]rens, Monsieur, avec regret que vous avez cru devoir négliger dans vos calculs, cette considération de l'excentricité. Ce que j'ay dit pour justifier mon procédé dans la methode qui est selon les principes de Mr N[ewton] doit entierement dissiper les scrupules que v[ous] aviez interjetté sur la meth[ode] qui m'est propre, et si cette meth[ode] est juste pour le fond, et qu'en effet l'excentricité doive entrer dans l'expression du mouvem[en]t des apsides, il se trouvera que vos calculs admirables a tous autres egards auront en ce point le même defaut que la meth[ode] de Mr N[ewton].

Je crois que c'est un prejugé favorable a ma meth[ode] qu'en prenant p[ou]r l'excentricité quelque nombre moyen entre ses differentes valeurs, par ex. 1046, on trouve pour le mouvem[en]t de l'apogée 1s. 10° 38 1/2 qui est suivant M[onsieu]r Cassini 1s. 10° 39'. Ainsi on peut espérer qu'en se donnant un peu plus de peine que je n'en ay pris pour faire entrer dans le calcul la variation de l'excentricité telle qu'elle y doit entrer, on trouvera tout d'accord et on reviendra a cette admirable harmonie qui s'est trouvée en tous les autres points entre la nature et les calculs newtoniens.

Aussi, M[onsieu]r, bien loin de v[ous] disputer la decouverte de l'insuffisance de la loy newtonienne, j'ose encore croire que cette loy, appliquée convenablem[en]t et ayant égard a toutes les conditions de la question, resoudra tres bien ce cas unique comme elle en resolu tant d'autres, et j'espère que v[ous] ne prendrez p[oin]t cette déclaration comme etant le moins du monde opposée a la persuasion que je dois avoir de la justesse de vos calculs. Il en est de vos calculs comme de la meth[ode] newtonienne, il leur manque égalem[en]t d'avoir eu égard a l'excentricité. Ils donnent donc le même resultat, mais pour prononcer en conséquence que la loy newtonienne n'est pas juste, il faut examiner de nouveau, si l'erreur ne vient point de cette omission. J'aurois pu avant que d'ecrire sur ce sujet perfectionner ma propre méthode, et alors j'aurois pu parler d'un ton plus decidé, mais j'ay pensé qu'il n'y avoit rien de plus pressé pour moy que de vous temoigner mes sentiments de reconnoissance et que je ne devois pas différer de vous repondre, étant avec l'estime et la considération la plus parfaite, Monsieur, votre tres humble et tres obeissant serviteur.

Geneve 20 fev[rier] 1748. Signé Calandriny (BGE, Ms fr. 657/a, ff. 2-4).
Calandrini envoie sa lettre originale, datée du 19 février, à Clairaut via Cramer, adressant également à ce dernier cette copie datée du 20 (cf. 20 février 1748 (2)).

Une version de cette lettre était prête et a été lue le 17 février si l'on en croit le témoignage de de la Rive (cf. 28 février 1748 (2)).

Clairaut accuse réception de la lettre auprès de Cramer le [6 mars] 1748 et répond à Calandrini le même jour (cf. 6 mars 174[8]).
Abréviations
Référence
  • Jacquier (François), Le Seur (Thomas), Philosophiae naturalis principia mathematica, auctore Isaaco Newtono, 4 vol., Genève, 1739-1742 [5 septembre 1739 (2)] [[c. 1739]] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 19 février 1748 (1) : Calandrini (Genève) écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n19fevrier1748po1pf.html [Notice publiée le 9 juin 2010].