Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


24 janvier 1748 (1) : Buffon :
M[onsieu]r de Buffon a lu l'ecrit suivant.

Reflexions sur la loi de l'attraction et sur le mouvement des apsides
[…]
Cependant M[onsieu]r Clairaut a reconnu que la quantité absoluë du mouvement de l'apogée ne pouvoit pas se tirer de la théorie de la gravitation telle qu'elle est etablie par Newton parce qu'en employant les loix de cette meme theorie, on trouve que ce mouvement ne devroit s'achever qu'en 18 ans au lieu qu'il s'acheve en 9, ce qui en effet est si different que je ne suis pas surpris qu'il ai ait chercher les moyens d'expliquer ce paradoxe, et d'accorder ce phénomène singulier avec les autres phénomènes.

Comme il a bien voulu me permettre de lire son premier memoire [C. 33b, cf. 28 juin 1747 (1)], et que j'ai entendu la lecture du second [C. 33a, cf. 15 novembre 1747 (1)], je n'ai pu résister a la curiosité d'éxaminer cette question.
[…]
Si la methode de M. Clairaut est bonne, et que son calcul soit exact, comme je n'en doute pas, comment se peut-il qu'en employant celle de Mr Newton, qui dans ce cas doit être fautive, on arrive au resultat de M[onsieu]r Clairaut.
[…]
[Les commentateurs] [i.e. Calandrini] ont cru que Newton avoir en effet vû que sa théorie ne donnoit que la moitié de la quantité absoluë du mouvement de l'apogée, et ils ont eux-mêmes cherché ces quantités par d'autres méthodes. J'avouë que j'ai bien de la peine à me persuader que ces habiles geometres aïent fait ici d'autre erreur que celle d'avoir attribué à Newton un sentiment qu'il n'avoit pas. Voici ce qu'il disent pag[e] 504 tom[e] 3 [(Jacquier 39-42)].
[…]
Supposons donc ce que M[onsieu]r Clairaut prétend avoir démontré que par la theorie de la gravitation le mouvement des apsides devroit se faire en 18 ans au lieu de se faire en 9, et souvenons nous en même temps qu'à l'exception de ce phénomène tous les autres, quelque compliqués qu'ils soient, s'accordent dans cette même théorie très exactement avec les observations.
[…]
De toutes ces suppositions, il n'y en a pas une que je n'admisse plus volontiers que celle de M[onsieu]r Clairaut qui me paroît beaucoup plus hypothetique et sujette d'ailleurs a de grandes difficultés : exprimer la loi d'attraction par deux termes, ajouter à la raison inverse du quarré des distances une fraction du quarré quarré, au lieu des 1/xx mettre 1/xx+1/mx4, me paroit n'être autre chose qu'ajuster une expression de telle façon qu'elle corresponde a tous les cas. Ce n'est plus une loi physique que cette expression represente.
[…]
Il faut dans le cas présent que M[onsieu]r Clairaut admette nécessairement une autre force differente de celle de l'attraction s'il emploïe deux termes pour réprésenter l'effet total de la force centrale d'une planète.

Mais indépendamment de ce desavantage de la supposition de M[onsieu]r Clairaut qui détruit l'unité de la loi sur laquelle est fondée la verité, et la belle simplicité du systeme de Newton, cette supposition souffre bien d'autres difficultés que M[onsieu]r Clairaut devoit, ce me semble, de proposer avant que de l'admettre, et commencer au moins par examiner d'abord toutes les causes particulieres qui pourroient produire le même effet. Je sens que si j'eusse résolu le premier (comme M[onsieu]r Clairaut l'a fait) le beau problème des 3 corps, et que j'eusse trouvé que la theorie de la gravitation ne donne en effet que la moitié du mouvement de l'apogée, je n'en aurois pas tiré la facheuse conclusion qu'il en tire, aussi est-ce uniquement cette conclusion que je contredis, et à laquelle je ne crois pas qu'on soit obligé de souscrire jusqu'à ce que M[onsieu]r Clairaut ait montré l'insuffisance de toutes les autres causes particulieres.
[…]
Je sens bien que M[onsieu]r Clairaut, pour paroître avoir plus d'un phénomène en sa faveur, cherchera à faire son terme additionnel de la force tel qu'il puisse en effet correspondre avec le mouvement de l'apogée de la Lune, et en meme temps avec la figure de la Terre, comme on l'a trouvée par les observations au cercle polaire et au Pérou.
[…]
Cette conclusion de M[onsieu]r C[lairaut] ne peut donc être qu'une supposition que l'on doit apprécier, et à laquelle on ne doit se rendre que quand elle sera un peu mieux fondée.
[...]
Je pourrois m'etendre sur cette objection [modification de la pesanteur] qui me paraît tres considerable, mais je suis persuadé que sans cela M[onsieu]r C[lairaut] en sentira toute la force.
[…]
Si dans la supposition même que l'expression composée de 2 termes que M[onsieu]r Clairaut veut substituer à celle de la loi générale, convient parfaitement avec tous les phénomènes découverts et à découvrir, il ne vaudroit pas mieux imaginer qu'il y a en effet deux forces centrales, sçavoir celle de l'attraction qui suivroit toujours le quarré de la distance, et une seconde force quelconque qui seroit réprésentée par le 2e terme.
[…]
Au reste il me suffit d'avoir établi dans ce mémoire les raisons qui me font rejetter la supposition de M[onsieu]r Clairaut. […] je suis bien persuadé que M[onsieu]r C[lairaut] ne trouvera pas mauvais que j'aïe attaqué son opinion avec franchise et liberté : je ne l'ai fait que pour éclaircir la question et affermir la verité. Amicus plato, sed magis amica veritas (PV 1748, pp. 18-26) (Guy Boistel, CP, 6 septembre 1999).

Gallica

La lecture du mémoire avait débuté le 20 janvier (cf. 20 janvier 1748 (2)).

Il entraîne une réponse de Clairaut le 17 février (cf. 17 février 1748 (2)).
Abréviations
Référence
  • Jacquier (François), Le Seur (Thomas), Philosophiae naturalis principia mathematica, auctore Isaaco Newtono, 4 vol., Genève, 1739-1742 [5 septembre 1739 (2)] [[c. 1739]] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 24 janvier 1748 (1) : Buffon », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n24janvier1748po1pf.html [Notice publiée le 7 juin 2010].