Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


2 février 1750 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Cramer :
Je pense comme vous mon cher Monsieur sur le compte du jeune mathematicien de Montpellier [cf. Janvier 1750 (1)]. Et j'avois remarqué aussi quelques fautes tant de geometrie que de mecanique. En parlant des orbites des planetes je me souviens par exemple de quelques ignorances sur les principales propositions de Newton. Et c'est la 1ere chose qui m'avoit empeché de rester dans le sentiment que j'avois eu en premier lieu que le livre etoit de Maupertuis. Son idée du ressort pour les fluides et qu'il veut faire entrer dans la question de la figure de la Terre n'est pas soutenable mais le total du livre montre de l'esprit et je ne doute pas que l'auteur ne devint un grand [sujet] s'il etoit à Paris où à Londres ou dans tout autre lieu où l'emulation et les secours ne laissent pas enfouir les talens.

S'il etoit ici il auroit bientôt pris aussi le vernis qu'ont tous nos savans pour le faire valoir, là sans secours de ce coté là son livre est aussi adroitement fait que le pourroit faire M.

Je n'ai point entendu dire que les dernieres eclipses eussent eté fort contraires aux tables de M[onsieu]r Cassini, qui, toutes imparfaites qu'elles sont en comparaison de celles de Mr Halley, sont pourtant comme vous le dites assez bonnes pour les temps des syzygies. J'en ai actuellement d'après ma theorie [C. 39, C. 41] qui sont meilleures que toutes celles que je connois, et j'ai la satisfaction de les avoir tirées des seuls secours de la geometrie, sans avoir employé d'autres elemens astronomiques que les revolutions moyennes des deux planetes et leurs excentricités.

Vous ne me parlés non plus de votre ouvrage sur les courbes [(Cramer 50)] que si je ne m'interessois pas a tout ce qui vous regarde et en particulier à cette matiere que j'ai beaucoup etudiée autrefois. J'en sais cependant des nouvelles par M[onsieu]r de Champeaux avec qui j'ai eu le plaisir de m'entretenir beaucoup de vous, et de M[onsieu]r Calendrini [Calandrini] sans oublier même M[onsieu]r Abozi que je ne connoissais pas encore de nom. Vous avez dans M[onsieu]r de Champeaux un ami eclairé dont vous devés etre flatté. Mlle Ferrand s'est meslée de nos conversations sur vous et m'a chargé de vous dire bien des choses de sa part. M[onsieu]r [Daniel-Charles] Trudaine et M[a]d[am]e Dupré [Dupré de Saint-Maur] me parlent aussi assés volontiers de vous lorsque l'occasion s'en presente.

J'ai perdu l'année derniere une amie chez laquelle vous aviés aussi extremement reussi c'etoit la pauvre M[a]d[am]e d'Ancezune. Je la regrette tous les jours. On retrouve bien peu de ses sortes de caracteres parmi les gens du monde, meme ceux qui se piquent le plus d'aimer les gens de lettres. Paris est plein de personnes qui se font un hon[neur] d'attirer chez eux les savans, mais sans les aimer veritablement. C'est une [fragment déchiré]tion, et l'envie d'avoir souvent à la bouche des noms de science ou de savans. Il [advient] de là qu'au lieu de leur etre utile, ils leur causent mille tracasseries. Je suis si las de ces sortes de gens que j'ai quelquefois envie de renoncer à toutes les maisons où il va des savans, ou a passer ma vie à la campagnie [campagne]. Je crois même que sans une faiblesse que vous devés excuser parce que je crois que vous la sentés aussi en vous, je prendrois ce dernier parti. Mais vous allés me prendre pour un atrabilaire, je suis pourtant bien loin de ce caractere. Et quand meme j'aurois actuellement de l'humeur, elle passeroit toute en causant avec vous. C'est ce que me produiroit la certitude d'un esprit et d'un cœur fait pour plaire tel que le votre : on fait aimer l'humanité quand on est aimable. Adieu mon cher Monsieur, conservés toujours quelqu'amitié a un homme qui vous est autant attaché que je vous le suis.

Paris, 2 fevr[ier] 1750

L'abbé de Condillac ne doit revenir ici qu'a la fin du mois.

[Adresse] A Monsieur / Monsieur Cramer de la Societé Royalle de Londres et Professeur de Mathematiques / à Genève (BGE, DO autogr., 1984/34).
La réponse de Cramer est perdue, ainsi qu'une autre lettre de Clairaut lui annonçant qu'une place d'étranger est vacante par le mort de Crousaz (cf. Mars 1750 (1)).

Cramer réécrit à Clairaut le 5 août (cf. 5 août 1750 (1)).
Abréviations
Référence
Courcelle (Olivier), « 2 février 1750 (1) : Clairaut (Paris) écrit à Cramer », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n2fevrier1750po1pf.html [Notice publiée le 24 août 2010].