Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


6 janvier 1748 (1) : Euler (Berlin) écrit à Clairaut :
Monsieur,

Je suis bien fâché, qu'on vous a osé blâmer au sujet de vos excellentes découvertes sur la Lune [C. 33] ; mais je suis bien aise de n'avoir rien dit dans ma pièce sur Saturne [(Euler 49b], sur le mouvement de l'apogée de la Lune, et que je ne vous ai rien marqué auparavant. Il est bien vrai que j'en ai d'abord tiré cette conséquence, que le mouvement de la Lune ne se règle pas sur la théorie de Newton, mais je n'ai pas pensé de corriger la théorie par quelque changement fait dans l'expression des forces. Je me suis contenté de corriger dans mon analyse le mouvement de l'apogée selon les observations, et ce changement ne m'a pas paru influer sensiblement sur les autres mouvements de la Lune ; et de là j'avais formé le dessein de développer mes expressions, et en cas qu'elles ne fussent pas d'accord avec les observations, d'en corriger seulement les coefficients. Voilà comment je m'y suis pris : Je suppose, à ce que la théorie m'a fait connaître, que le mouvement de l'apogée peut être considéré comme uniforme et l'excentricité comme constante, donc je nomme [maths]. Or quoi que j'eusse déterminé les valeurs de ces coefficients par la théorie, j'ai pourtant supposé que chacune ait besoin de quelque correction, et en effet, ayant calculé quantité des places observées de la Lune, j'ai trouvé ces corrections, et c'est sur ces valeurs que j'ai dressé et ensuite corrigé mes tables, dont je vous avais parlé dans ma dernière lettre [cf. 30 septembre 1747 (1)]. Ainsi je ne prétends nullement que mes tables [(Euler 46b)] soient tirées immédiatement de la théorie, car celle-ci ne m'a instruit que sur la forme des termes de la série à laquelle l'intégration m'avait conduit, et de la valeur des coefficients à peu près. Car sans la théorie, il m'aurait été impossible de deviner la forme de ces termes, et encore moins de déterminer la véritable grandeur des coefficients, si je ne les eusse pas su à peu près. Voilà tout ce dont je me reconnais redevable à la théorie dans mes tables. Ensuite je dois remarquer que, quand même j'ajouterais un petit terme à l'expression des forces, je trouverais la même forme de la série, c.-à.-d. les mêmes termes, mais leurs coefficients deviendraient un peu différents. Comme l'évolution numérique de ces coefficients est un ouvrage extrêmement pénible, et qui ne se peut faire que par approximation, de sorte qu'on ne puisse pas être assuré d'avoir assigné leurs valeurs exactement, il vaudra à mon avis toujours mieux, de chercher ses valeurs par les observations. Cependant je doute fort, qu'en ajoutant un petit terme à l'expression de la force, on approchera mieux de la vérité, car ayant déterminé, ou plutôt rectifié, mes coefficients par les observations, j'ai fait les mêmes opérations, que si j'avais introduit dans la théorie un tel nouvel terme. Or néanmoins, après avoir calculé un grand nombre d'observations que M. Bradley m'a communiquées, je dois avouer franchement, que je ne vois aucun moyen d'approcher aux observations au delà de 3' : j'ai essayé d'introduire plusieurs autres termes de ma suite, que j'avais négligés, dont les coefficients pourraient devenir plus considérables dans une hypothèse corrigée, mais je n'ai pu voir que j'eusse mieux réussi.

En voici donc tout ce que j'ai fait sur la Lune, pour vous éclaircir sur les doutes, que vous m'aviez fait là-dessus ; mais cela me doit servir aussi pour vous justifier contre toutes les chicanes qu'on vous pourrait faire sur cette matière, car je suis convaincu que vous avez infiniment mieux approfondi cette matière que moi ; m'étant contenté de réduire les intégrales des équations, que la théorie fournit, à des séries convergentes de la forme exprimée là-dessus ; et ayant déterminé les coefficients plutôt par les observations que par la théorie.

Au reste, Monsieur, je vous puis assurer que je n'aurai pas manquer de vous envoyer un exemplaire de mes Opuscules [(Euler 46-51)] imprimés ici, si j'avais pu trouver une bonne occasion. Car le message de mon ouvrage sur les comètes [(Euler 44b)], que j'avais envoyé à M. de Maupertuis, et qui lui a coûté 150 livres, m'a tellement intimidé que je n'ose plus rien envoyer par la poste pour votre pays ; et les marchands m'ont dit et me disent encore, qu'il est impossible de faire passer quelque chose d'ici en France. Dans ces circonstances, je vous suis bien obligé de m'avoir indiqué le chemin par Genève dont je profiterai à la première occasion. Il y a longtemps que j'ai ordonné à M. Bousquet [libraire de Lausanne NDE] d'envoyer à Paris d'abord quelques exemplaires de mon Introduction dans l'analyse des infinis [(Euler 48d)], dès qu'il sera achevé, et je compte que vous l'aurez avant moi. Au reste je n'y traite point du tout des l'analyse des infinis, ce n'est qu'une introduction ou plutôt un prodromus, qui contient plusieurs articles de l'algèbre, et de la géométrie sublime, qui ne me paraissent pas assez bien expliqués ailleurs, bien qu'ils soient nécessaires pour approfondir mieux l'analyse des infinis, ainsi je crains fort que vous vous repentirez beaucoup de votre curiosité.

M. de Maupertuis m'a chargé de vous faire ses compliments, et pour moi, j'ai l'honneur d'être avec la plus parfaite considération, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur L. Euler.

Berlin, ce 6 janvier 1748.

Je vous prie d'excuser l'incluse pour M. Delisle qui sera sans doute de vos amis.

L'introduction, qui est depuis 3 ans sous la presse devrait être suivie de l'Analyse des infinis [(Euler 55b), (Euler 68-70)] même dont j'ai déjà composé une bonne partie. Mais M. Bousquet trouve si mal son compte dans les livres de cette nature, que je doute fort qu'il sera d'avis de continuer (O IVA, 5, pp. 180-182).
Euler répond à la lettre de Clairaut du 7 décembre 1747 (cf. 7 décembre 1747 (1)).

Clairaut répond à Euler le 27 avril (cf. 27 avril 1748 (1)).
Abréviations
Références
  • Euler (Leonhard), Theoria motuum planetarum et cometarum, Berolini, 1744 [12 mai 1744 (2)] [19 janvier 1745 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), Opuscula varii argumenti, 3 vol., Berlin, 1746-1751.
  • Euler (Leonhard), « Tabulæ astronomicæ Solis et Lunæ », Opuscula varii argumenti, 3 vol., Berlin, 1746-1751, vol. 1, 1746, pp. 137-168 [7 décembre 1747 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), Introductio in analysin infinitorum, 2 vol., Lausannæ, 1748 [7 décembre 1747 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), « Recherches sur la question des inégalités du mouvement de Saturne et Jupiter », Pièce qui a remporté le prix de l'Académie royale des sciences en 1748, Paris, 1749 [Télécharger] [10 juin 1747 (1)] [3 septembre 1747 (1)] [Plus].
  • Euler (Leonhard), Institutiones calculi differentialis cum eius usu in analysi finitorum ac doctrina serierum, Saint-Pétersbourg, 1755.
  • Euler (Leonhard), Institutionum calculi integralis, 3 vol., Saint-Pétersbourg, 1768-1770.
  • Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 6 janvier 1748 (1) : Euler (Berlin) écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n6janvier1748po1pf.html [Notice publiée le 5 juin 2010].