Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


Avril 1764 (1) : Parution d'une lettre de Bailly au Mercure :
Lettre à l'auteur du Mercure

Je crois, Monsieur, que vous ne serez pas fâché que je vous entretienne d'une découverte très intéressante et qui va donner à la dioptrique une nouvelle face. Nous la devons aux travaux d'un géomètre célèbre, et aux soins de plusieurs amateurs. [...] M. Clairaut, mon confrère, connu par des succès brillants dans la géométrie, et à qui je rends ici avec plaisir, comme ami, la justice qui lui est due, comme géomètre, entreprit d'établir une théorie complète des aberrations des rayons de la lumière [C. 57, C. 58, C. 60], et rechercha les courbures qu'il fallait donner aux deux matières réfringentes pour les détruire ; mais il vit d'abord qu'une telle recherche devait être fondée sur des expériences plus sûre que celles dont on s'était appuyé jusqu'ici, afin de connaître mieux la réfringence des différentes matières. C'est par où il commença. Il essaya sur le flint-glass et sur notre verre commun, qu'il substitua au crown-glass ; et leur fringence étant bien constatée, il en déduisit bientôt les formules générales qu'il cherchait. Il en lut le résultat [C. 57] à l'assemblée publique du 8 avril 1761 [ ! cf. 1 avril 1761 (1)]. Il prévoyait dès lors que les lunettes de M. Dollond, quoique très bonnes, ne produisaient pas tout l'effet dont on devait attendre, puisque les aberrations étant détruites, il paraissait qu'elles devaient surpasser les télescopes newtoniens, qui perdent beaucoup de lumière par la réflexion des miroirs.

Vous verrez incessamment, Monsieur, cette conjecture vérifiée par le succès que je vous annonce. Des artistes intelligents, conduit par sa théorie, firent quelques essais qui répondirent à ce qu'on pouvait attendre ; enfin M. Anthaume [(Antheaulme 60a), (Antheaulme 60b)], connu par sa méthode des aimants artificiels, qui a remporté le prix à l'Académie de Pétersbourg en 1760 [(Antheaulme 60a), (Antheaulme 60b)], qui depuis longtemps, amateur de l'optique, s'appliquait à faire d'excellents objectifs, suivant les pratiques ordinaires, entreprit d'en travailler un suivant les déterminations de M. Clairaut [cf. Antheaulme]. Le plus grand succès a comblé nos espérances : il a fait un verre de sept pieds de foyer, qui fait l'effet d'une bonne lunette de trente-cinq à quarante pieds. Cette perfection surpasse de beaucoup celle où M. Dollond avait atteint ; et, en faisant éloge de l'adresse de M. Antheaume, prouve l'excellence de la route que M. Clairaut avait tracée. J'ai vu avec cette lunette le disque de Jupiter parfaitement bien terminé ; les bandes qu'on y observe partagées en plusieurs autres bandes, et les satellites qui l'accompagnent assez grossis pour qu'on puisse espérer d'apercevoir aussi leur disque, si l'on peut réussir un jour aussi dans des verres d'un foyer plus long. S. E. Mgr le Cardinal de Luines [Luynes], qui protège les sciences, et dont les lumières sur l'optique sont connues, en a fait l'épreuve [cf. 14 février 1764 (1)] ; MM. de Thury, le Monnier, de la Lande [Lalande], Chappe et moi, tous membres de l'Académie des sciences, y avons assisté, et il n'y a eu qu'une voix sur l'excellence de cette lunette. M. Antheaume s'est fait un plaisir de la faire voir aux amateurs, et particulièrement à M. le Président Saron [Bochart de Saron], qui, ayant beaucoup de goût et de reconnaissance, est possesseur d'un très beau télescope [Ce miroir a 50 pouces de foyer. Il doit grossir environ ne fois les objets NDA.] anglais. Il l'a comparé avec la lunette, et il avoue lui-même qu'elle fait plus d'effet. […] Vous jugerez, Monsieur, de la satisfaction que doit ressentir M. Clairaut des progrès d'un art qui lui devra sa perfection. Quel champ vaste ouvert à nos découvertes, si l'on peut porter à la perfection des lunettes plus longues, telles que de vingt à vingt-cinq pieds ! Que de points incertains dans le système du monde peuvent être éclaircis ! [...]

C'est ici le lieu de vous parler, Monsieur, d'un artiste fort intelligent ; de M. de Létang [cf. Létang]. [C'est à l'adresse de M. de Létang, que M. Clairaut est redevable de n'avoir pas été dégoûté de l'application de sa théorie à la pratique il fallait un homme qui saisît ses idées assez bien, pour se les rendre propres, et pour que l'exécution lui en devînt facile NDA.], qui a travaillé, dès les commencements, sur les principes et sous les yeux de M. Clairaut. Il joint à beaucoup de lumières les plus grands soins dans la pratique. Il a bien voulu me faire voir plusieurs objectifs de trois et de cinq pieds, qu'il a travaillés, et qui sont excellents. Il se dispose à en travailler d'un foyer plus long, et je suis assuré du succès. Les astronomes seront très heureux d'avoir recours à lui pour un instrument qui leur est si nécessaire.

M. Le Bas, artiste connu, qui demeure aux galeries du Louvre, m'a fait voir aussi de très bons objectifs de trois pieds. Il semble que le seul obstacle qui s'oppose maintenant à nos progrès soit la difficulté de ce travail, qui exige beaucoup plus de soins et de précision qu'auparavant, et la rareté du flint-glass qu'on a peine à se procurer ici, et que l'on trouve souvent défectueux. M. Passemant, qui a aussi travaillé sur cet objet, a la composition d'une matière, laquelle étant vitrifiée pourrait être substituée au cristal d'Angleterre. L'attention des amateurs doit maintenant s'y porter : nous espérons qu'elle procurera aux artistes toutes les facilités nécessaires, et leur intelligence nous promet qu'ils ne seront pas arrêtés par la difficulté du travail.

J'ai l'honneur d'être, etc. Bailly, de l'Acad[émie] royale des sciences (Mercure de France, avril 1764, pp. 136-148).
Abréviations
Références
  • Antheaulme (), Dissertation qui a remporté le prix en 1760, au jugement de l'Académie impériale des sciences de Saint-Pétersbourg, sur les questions proposées pour l'année 1758, Saint-Pétersbourg, 1760 [Antheaulme] [15 décembre 1763 (2)] [Plus].
  • Antheaulme (), Mémoire sur les aimants artificiels, qui a remporté le prix de physique de l'Académie impériale des sciences de S. Pétersbourg, le 6 septembre 1760, Paris, 1760 [Télécharger] [Antheaulme] [15 décembre 1763 (2)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « Avril 1764 (1) : Parution d'une lettre de Bailly au Mercure », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/nAvril1764po1pf.html [Notice publiée le 27 février 2013].