Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


27 avril 1764 (1) : Lesage (Genève) écrit à Clairaut :
À M[onsieu]r Clairaut

Monsieur

J'ai vû avec plaisir, dans les nouvelles litteraires du dernier Journal des savans [avril 1764, pp. 249-252] ; que l'ingenieur S. Abat, tâchoit de nous procurer des prismes à angle variable, cependant ne continssant aucun fluide. Mais il me semble ; qu'il aura bien de la peine, à faire en sorte que ses deux courbures soient appliquées si exactement l'une à l'autre, que la lumiere puisse les traverser sans refraction. On pourroit obvier aux inconveniens de cette inexactitude ; en interposant entre ces deux surfaces, une goutte d'un fluide qui fut doué d'une force refringeante à peu près egale à celle du verre. Je dis à peu près ; parce que l'extreme minceur de cette lame, previendroit toute aberration sensible. Il est vrai ; qu'on ne connoit point de fluide, dont la force refringeante approche de celle d'un verre commun. Mais, ne pourrais-t-on pas composer un fluide tout exprès ; par exemples avec une solution du verre d'antimoine, dont la force refringeante est à celle du verre commun comme 2. 568 est à 1. 14025 ou 1712 à 935 ? Solution, qu'on auroit l'avantage de pouvoir affoiblir à volonté. Je parle de cela au hazard, ne m'etant jamais occupé d'optique.

À propos de cet auteur si inventif, j'ai parcouru dans les Amusemens philosophiques [(Abat 63)], 60 pages d'experiences raisonnées sur les tuyaux capillaires ; pour lesquelles il s'efforce de prouver, que l'attraction par laquelle on en a [voulu?] expliquer les phénomènes déja conus, est contredite par ces mêmes phénomènes ; et j'y ai vû au contraire, un accord soutenu, de cette attraction avec tous ces phénomènes ; et par conséquent, une confirmation considerable de cette même attraction. Il est vrai, que dans une expérience ou deux ; il faut associer, à la densité des substances, dont cette attraction suit la loi, leur homogenéité ou heterogenéité. Mais je ne regarde pas cela comme une objection ; persuadé comme je le suis, que cette attraction, est l'effet d'une cause mechanique ; de laquelle il decoule rigoureusement, que les corps de même espèce, doivent s'attirer plus fortement que les corps de deux espèces différentes. On avoit bien tâché d'expliquer le mechanisme cette derniere loi, dans le contact, savoir par la congruence plus ou moins exacte des surfaces : mais personne ne l'avoit encore fait comprendre, pour les cas où l'attraction ait à distance. C'est à cette loi, que peut se rapporter toute la chimie.

S'il se trouvoit (comme on ne peut guère en douter), que M[onsieu]r Stewart [(Stewart 63)], eut legitimement deduit de la théorie newtonienne, une distance du Soleil, fort differente de celle que le passage de Venus a fourni aux astronomes : il y auroit un moyen, de concilier ces conclusions. Ce seroit d'apporter à cette théorie, un correctif à peu près semblable à celui que vous aviés autrefois imaginé [C. 33] puis rejetté [C. 35]. Quelques temps après cette rejection que vous fites de votre propre soupçon, c'est à dire au mois d'aoust 1749 ; j'envoyai à l'Academie, un Essai sur l'origine des forces mortes, pour disputer le prix de 1750 [cf. 6 septembre 1749 (2)] : dans le 12eme chapitre de cet essai, j'hazardai deux conjectures differentes ; comment il pouvoit se faire, que la théorie newtonienne ne s'accordoit pas parfaitement avec les observations. L'une de ces conjectures, etoit d'heterogenéité plus ou moins grande, de deux corps celestes avec un même 3eme ; d'où il resultoit, qu'ils étoient inégalement poussés vers ce 3eme corps, par le fluide gravitique. Mon autre conjecture, portoit sur l'inegale permeabilité des couches [exterieures] semblablement placées de deux corps celestes, à la même matiere gravitique ; dont la cause etoit, que ces couches sont plus epaisses dans les grands corps que dans les moindres. Permettés-moi, Monsieur ; de consacrer encore quelques lignes, à cette 2de conjecture. Les parties inerieures de la Lune, sont donc plus librement exposées aux coups de mes corpuscules ultramondains, que les parties interieures de la Terre ; de sorte que (à masses et distances egales) les premieres sont plus fortement poussées vers le Soleil, que les dernières. Supposons, qu'à tout prendre, la pesanteur acceleratrice moyenne de la Lune vers le Soleil, soit plus grande qu'une 1/10000 partie, que celle de la Terre vers le Soleil. Il s'ensuivra (Princip. Math. Lib. III. Prop. 6) ; que le centre de l'orbite lunaire, sera plus eloignée du Soleil, que ne l'est le centre de la Terre, d'une 1/20000 partie, c'est à dire à peu près d'une demi-diametre terrestre. Cela fait naitre dans cette orbite, une seconde espèce d'apogée ; qui sera toujours en opposition avec le Soleil et qui, par consequent, achevera en un an, une revolution complete selon l'ordre des lignes. Entr'autres phénomènes que pourroit produire ce 2de apogée et son mouvement : ne pourroit-il point, accelerer le mouvement de l'apogée elliptique ; et contribuer par là, à la solution de votre ancienne difficulté. Je n'ai pas encore tenté d'appliquer le calcul à ces differentes conjectures : mais je me propose de le faire ; dès que j'aurai mis la dernière main à certains objets.

Après avoir inutilement attendu quelque tems ; le succès des informations que j'avois fait prendre dans un village et une petite ville du païs de Vaud, concernant le sort des papiers de M[onsieu]r Megard [Mégard] : je vois bien que je ne pourrai pas être eclairci si tôt sur ces objets ; et je me détermine, à vous en apprendre en attendant ce que j'en savois depuis un an ou deux, dont j'avois couché quelques petits traits dans mes recueils ; en vous prévenant en même tems que je vais engager les héritiers de M[onsieu]r Megard, à vous faire remettre par préférence ceux de ses papiers optiques qu'on doit avoir envoyé à Paris.

M[onsieu]r J. J. Mégard, avocat, natif du village de Commugny dans la baronie de Copet, située fort près de Genève ; envoya à Paris un memoire catadioptrique, qui fut examiné en février 1751, par M[essieu]rs Bouguer, Le Monnier et Courtivron. L'objet de ce memoire etoit de diminuër les erreurs, qui proviennent, tant de la sphéricité des lentilles, que de l'inégale refrangibilité des differentes couleurs ; soit dans les telescopes, auxquels il avoit déjà appliqué les nombres determinés ; soit dans les microscopes, pour lesquels il n'avoit encore que des formules indeterminées. Et il a employé à ses calculs ; d'abord, les quinze années ecoulées depuis 1722 à 1737, completement ; ensuite, la moitié des quatorze années suivantes. Il a imaginé trois genres de telescopes ; qui se soudivisent en plusieurs espèces. Voici deux de ses conclusions.

1. Si la distance des miroirs, etoit de 2. 28 pouces ; l'amplification, seroit 50 ; l'erreur de la part de spéricité, deviendroit 0. 19 minutes ; et celle de la part des couleurs, 7. 84 minutes. Un telescope si court pourroit s'attacher à la tête ; pour observer sur Mars, les satellites de Jupiter ; mieux encore qu'on ne l'a fait depuis lors, avec la chaise suspenduë de M[onsieu]r Irnvin.

2. Si la longueur, devenoit de 36. 48 pouces, l'amplification seroit 200 ; l'erreur de sphéricité seroit la 1/1024 partie de 7606 minutes, qui font 2 ou 3 tierces ; et l'erreur des couleurs, seroit la 1/64 partie de 31. 35 minutes, environ demi-minute.

J'ai l'honneur d'être avec la plus profonde estime et un entier devoument Monsieur [votre très humble et très obéissant serviteur] Lesage

Genève. 27 avril 1764 (Prevost 05, pp. 356-367) (BGE, Ms Supp. 517, ff. 170-171).

Clairaut avait écrit à Lesage le 24 avril (cf. 24 avril 1764 (1)).

Clairaut répond à Lesage le 23 mai (cf. 23 mai 1764 (3)).
Abréviations
Références
Courcelle (Olivier), « 27 avril 1764 (1) : Lesage (Genève) écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n27avril1764po1pf.html [Notice publiée le 4 février 2012].