Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


10 avril 1751 (1) : Euler (Berlin) écrit à Clairaut :
Monsieur,

J'ai enfin la satisfaction de vous marquer que je suis maintenant tout à fait éclairci sur le mouvement de l'apogée de la Lune et que je le trouve après vous entièrement conforme avec la théorie de Newton. Cette recherche m'a entraîné en de terribles calculs, et j'ai enfin découvert la source de l'insuffisance des méthodes que j'avais suivies jusqu'ici à cet égard, qui consistait dans la détermination incomplète d'une constante que l'intégration introduisit dans le calcul, inconvénient auquel votre méthode [C. 39] n'était pas assujettie. Mais à présent, comme deux méthodes tout à fait différentes conduisent à la même conclusion, il n'y aura plus personne qui refusera de reconnaître la justesse de votre recherche. Pour moi, je vous félicite avec connaissance de cause sur cette heureuse découverte, et j'ose même dire que je regarde cette découverte comme la plus importante et la plus profonde qui ait jamais été faite dans la mathématique. Je vous demanderais mille pardons de ce que j'avais douté jusqu'ici d'approuver votre rétractation [C. 35], mais je crois que mon opiniâtreté rendra plus éclatante votre victoire et la mettra même à l'abri de toutes les contradictions qu'elle pourrait encore éprouver. Car il est bien certain qu'il y a fort peu de personnes qui sont capables de reconnaître la justesse de votre analyse et je me vois obligé d'avouer que je serais encore dans le même cas si je n'avais trouvé une méthode tout à fait différente qui m'eût conduit à la même conclusion. Car voilà comment je m'y suis pris : au lieu de supposer la force de la Terre sur la Lune = m/xx pour la distance x, je l'ai exprimée par m/xx-µ, dans le dessein de déterminer le terme µ en sorte que j'obtienne le même mouvement de l'apogée que les observations donnent ; et j'ai enfin trouvé contre toute mon attente, que ce terme doit être supposé si petit, qu'on le peut regarder sans faute comme rien, au lieu que suivant mon sentiment précédent, il aurait dû devenir assez considérable. Maintenant je m'applaudis d'autant plus d'avoir engagé l'Académie de S[ain]t Pétersbourg de choisir cette question préférablement à toutes les autres qu'elle a eues en vue [cf. 15 juillet 1749 (1)], puisqu'on peut soutenir que jamais Académie a proposé une question aussi importante, et à laquelle il a été répondu avec un si heureux succès. Si cette circonstance est capable de donner quelque relief à votre découverte, j'en serai infiniment charmé. Du moins je puis bien dire que c'est à cette occasion principalement que je suis redevable de mon éclaircissement, et je crois que ce cas ne garantit pas non seulement votre découverte contre tous ceux qui, ne pouvant pas pénétrer vos calculs, soutiendraient le sentiment contraire, mais aussi contre ceux qui voudront soutenir que cet accord de la théorie newtonienne avec l'expérience avait été établi bien longtemps avant vous ; et ceux-ci me paraissent maintenant les plus redoutables. Les Anglais diront qu'il n'ont jamais douté de ce merveilleux accord, et M. Machin prétendra l'avoir prouvé depuis longtemps. Mais dès qu'on jettera les yeux sur la dernière délicatesse de cette recherche et sur le prodigieux calcul qu'il faut expédier avant que de parvenir à la conclusion, on sera bientôt convaincu qu'il s'en faut beaucoup que tout autre hormis vous y soit arrivé. Car il est à présent bien certain que pour connaître le vrai mouvement de l'apogée, il faut absolument avoir bien déterminé auparavant la plupart des inégalités qui se trouvent dans le mouvement de la Lune, et principalement celle qui dépend de votre angle 2t-y. Or cette inégalité que les Anglais ont renfermé dans la variabilité de l'excentricité, et le mouvement irrégulier de l'apogée leur a été presque entièrement inconnue, et je crois être le premier qui l'ait introduite dans les tables, et même assez exactement, quoi que je doive avouer que les autres inégalités que j'y ai ajoutées ne sont pas trop justes. Car après avoir examiné de nouveau cette matière, je trouve une différence assez sensible dans la plupart de ces inégalités, et j'y ai joint quelques nouvelles qui me paraissent marquer le vrai lieu de la Lune beaucoup plus exactement, et je ne désespère pas de porter les tables de la Lune à un aussi haut degré de perfection que d'aucune planète principale. Je ne doute pas non plus d'un parfait accord des inégalités que je viens de trouver avec les vôtres, quoiqu'elles paraissent différentes, puisque vous formez vos arguments sur les anomalies moyennes, au lieu que je me sers des anomalies vraies du Soleil et de la Lune. J'ai fait tous les éloges possibles de votre pièce à l'Académie russienne [cf. 3 [avril] 1751, 27 avril 1751 (1), 5 juin 1751 (1)], et il n'y a aucun doute qu'elle ne remporte le prix [cf. (17) 6 septembre 1751]. Il est seulement dommage que ce prix est si peu proportionné à l'excellence de votre pièce.

Voila les déclarations que l'amour de la vérité autant que de votre précieuse amitié ne m'a pas permis de différer plus longtemps, étant avec la plus haute estime, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur L. Euler.

Berlin, ce 10 avril 1751.

On ne m'a envoyé qu'une copie de votre pièce de Pétersbourg dont j'ai copié les observations, parmi lesquelles je trouve un du 6 janvier 1744 faite à 18h 20' 18'' où la longitude de la Lune est marquée 6s 22° 54' 13''. Or du même jour, j'ai une observation de Mr Bradley faite à 18h 21' 40'' t[emps] m[oyen] à Londres, et partant à 18h 31' 21'' temps de Paris, où la longitude est marquée 6s 22° 30' 40'', qui serait par conséquent moindre à un temps plus tard. Je vous prie donc de me marquer si le copiste a commis une faute en rapportant cette observation (O IVA, 5, pp. 206-207).
Cette lettre d'Euler fait suite à celle du 16 mars (cf. 16 mars 1751 (1)).

Clairaut répond à Euler le 28 (cf. 28 avril 1751 (2)).
Abréviations
  • C. 35 : Clairaut (Alexis-Claude), « Avertissement de M. Clairaut au sujet des mémoires qu'il a donnez en 1747 et 1748, sur le système du Monde dans les principes de l'attraction », HARS 1745 (1749), Mém., pp. 577-578 [Télécharger] [17 mai 1749 (2)] [28 juin 1747 (1)] [15 novembre 1747 (1)] [Plus].
  • C. 39 : Clairaut (Alexis-Claude), Théorie de la Lune déduite du seul principe de l'attraction réciproquement proportionelle (sic) aux quarrés des distances... Pièce qui a remporté le prix de l'Académie impériale des sciences de Saint Pétersbourg en 1750..., Saint-Pétersbourg, 1752, in-4°, 92 p [Télécharger] [6 décembre 1750 (1)] [Sans date (1)] [(7 novembre) 27 octobre 1737 (1)] [Plus].
  • HARS 17.. : Histoire de l'Académie royale des sciences [de Paris] pour l'année 17.., avec les mémoires...
  • Mém. : Partie Mémoires de HARS 17..
Référence
  • Euler (Leonhard), « Correspondance de Leonhard Euler avec A. C. Clairaut, J. d'Alembert et J. L. Lagrange », Leonhardi Euleri Opera Omnia, IV A, vol. 5, Ed. Juskevic A. P. et Taton R., Birkäuser, Basel, 1980 [4 mars 1739 (1)] [16 mai 1739 (1)] [Plus].
Courcelle (Olivier), « 10 avril 1751 (1) : Euler (Berlin) écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n10avril1751po1pf.html [Notice publiée le 12 octobre 2010].