Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


11 juin 1749 (1)
M[onsieu]r Clairaut a [...] fini l'ecrit suivant.

Exposition abrégée de ce qui a été dit dans l'Académie sur le mouvement de la Lune et sur la loi d'attraction.

Lorsque j'eus lu dans la derniere assemblée [cf. 17 mai 1749 (2)] l'annonce de mon nouveau résultat sur le mouvement des apsides de la Lune [C. 35], M[onsieu]r de Buffon demanda qu'il fut fait mention de la datte du mémoire qu'il avoit écrit contre moi [(Buffon 45a, cf. 20 janvier 1748 (2)], afin que l'on vit qu'elle étoit antérieure à ma rétractation, et il me repprocha en même temps quelques changemens que j'avois fait à mon premier mémoire [C. 33a].

Comme M[onsieu]r de B[uffon] par cette demande ne peut avoir d'autre vuë que de faire croire que ces difficultés ont pu m'être de quelque secours dans mes nouvelles recherches, je me crois obligé de montrer en quoi consistent les changemens dont il parle, de faire voir qu'ils n'ont aucun rapport avec le point de dispute dont il s'agissoit entre nous, et qu'ils sont absolument de nature de ceux que tout académicien a la liberté de faire pendant l'impression, lorsqu'il ne veux pas fatiguer mal à propos une assemblée aussi respectable que l'Académie. Je ferois voir en même temps que les articles que M[onsieu]r de Buffon a reformés en imprimant ses reflexions, sont d'un espece entierement differente ; et qu'il ne pouvoit pas supprimer les choses où je l'avois relevé sans me citer comme les ayant fait appercevoir ; que la replique qu'il a inserée dans le même volume [(Buffon 45b)], sans l'avoir luë à l'Academie, et sans m'en avoir fait dire la moindre chose est une faute essentielle contre nos règlements.

On se ressouviendra que pendant l'été de 1747 [cf. 14 juin 1747 (1)], M[onsieu]r d'Alembert se présenta le premier à l'Académie pour lire sa solution du problême des 3 corps. Comme j'avois résolu ce même probleme sans scavoir que M[onsieu]r d'Alembert s'y etoit appliqué, je le priai de differer sa lecture jusqu'à l'assemblée prochaine afin que je fisse parapher mes papiers pour avoir ensuite le droit de lire ma solution, et de ne pas courir le risque de passer pour plagiaire.

Après que M[onsieu]r d'Alembert eut achevé la lecture de son premier mémoire, je lus le mien [cf. 28 juin 1747 (1)] dont l'essentiel étoit renfermé dans mes papiers paraphés, et dont le surplus contenoit quelques nouvelles recherches et quelques développemens de ma métode que je lisois à l'Académie à mesure qu'ils se presentoient, et sans y mettre l'ordre que j'aurois pu leur donner, si je n'avois pas cru qu'il étoit beaucoup plus important pour moi de remettre toutes mes recherches à l'Académie avant que les pieces sur la question de Saturne fussent entre les mains des juges.

Ma métode générale pour le mouvement de l'apogée, fut luë à l'Académie le 2 septembre 174[7] [cf. 2 septembre 1747 (1)] ; mais les resultats en nombres avec la conclusion que j'en tirois pour la loi de l'attraction, furent seulement remis cachetés à Mons[ieu]r de Fouchy, et ce fut le même jour [plutôt le 6 septembre (cf. 6 septembre 1747 (2))].

J'obtins en même temps la permission d'imprimer mon mémoire dans le volume de 1745, afin de joüir plus promptement de mes découvertes, et d'être plûtôt en êtat d'exciter les geometres à travailler sur la même matière.

Pendant les vacances suivantes, je composai le memoire que je lus à la rentrée [C. 33a], lequel ne pouvoit être regardé que comme la préface de celui que j'avois lu auparavant [C. 33b], et devoit être substitué à l'avant-propos que j'avois lu en commençant à expliquer mes recherches à l'Académie ; car cette premiere préface avoit simplement pour but d'annoncer qu'après mes calculs je serois en êtat de fournir une nouvelle confirmation au systeme newtonnien ou de faire contre ce systeme des difficultés capables de l'ébranler, et cette annonce ne convenoit plus après avoir achevé le calcul que j'avois entrepris, et avoir rempli ce que je m'étois proposé.

Lorsque je relus à l'Académie [cf. 22 novembre 1747 (1)] cette préface donnée à la séance publique [cf. 15 novembre 1747 (1)] et que j'eus fait ouvrir le paquet que j'avois remis cacheté pour m'assurer ma date, et que j'eus detruit par ce moyen l'imputation qui m'avoit été faite [par Le Monnier cf. 7 décembre 1747 (1)] d'avoir profité de la piece de M. Euler [(Euler 49b)], je recus plusieurs avis de la compagnie, qui tendoient à rendre mes expressions un peu plus mesurées en parlant de Mr Newton ; mais ces avis ne vinrent point de M[onsieu]r de Buffon, puisqu'il étoit absent ; et bien loin de m'engager à aucune dispute, je n'eus qu'á m'applaudir de la maniere avec laquelle il me furent donnés.

M[onsieu]r de Buffon se trouva ensuite à la lecture d'un 3e memoire [cf. 20 décembre 1747 (1)] où je prouvois qu'on prétendoit mal à propos trouver ce qu'avoient dit Mr Newton et Calendrin [Calandrini] rien qui eut pu me conduire à faire cette remarque si singulière sur le mouvement de l'apogée dont on me vouloit alors ôter la découverte, ainsi qu'on me disputoit dernierement celle du resultat contraire auquel je suis arrivé. Peu de temps après [cf. 20 janvier 1748 (2)] M. de Buffon lut à l'Académie un écrit [(Buffon 45a)] dans lequel il prétendoit 1° apprecier la part que M[onsieu]r Calendrin [Calandrini] avoit à ma remarque de l'apogée. 2° faire voir que l'expedient par lequel je voulois lever l'objection que mon résultat fournissoit contre le systeme de Mr Newton, étoit contraire aux principes de physique et de métaphysique. 3° de donner les moyens beaucoup plus plausibles suivant lui pour expliquer ce même phénomène dont il n'attaquoit en aucune manière la démonstration mathématique, car il a eu pour moi cette attention de s'en rapporter à mes calculs, et à ma justesse en géometrie.

Après la lecture du mémoire de M[onsieu]r de B[uffon] je commencai dans ma réponse [C. 34] à faire voir que M[onsieu]r Calendrin [Calandrini] n'avoit rien dit qui eut pu servir à ma détermination du mouvement de l'apogée : Je fis voir ensuite que les objections anatomiques [!] et physiques de M[onsieu]r de B[uffon] étoient sans force, et je réfutai ses objections en appréciant les difficultés par le calcul, comme il est toûjours nécessaire de le faire quand on veut donner quelque certitude à des arguments de cette espece.

Je répondis ensuite à ses difficultés métaphysiques en me servant des mêmes armes que les siennes, parce que la géometrie ne pouvoit pas me prêter son secours en cette occasion, mais si elle ne m'a pas servi directement, je me flate qu'elle ne m'a pas nui, et que mes raisons peuvent bien balancer celles de M[onsieu]r de B[uffon]

Quant aux moyens qu'il employoit ensuite pour expliquer le même phenomène que moi sans recourir à d'autres forces que celles qu'avoient employées, je trouvai pour les detruire les mêmes secours du calcul que dans la partie des objections qui rouloient sur les observations ; en sorte qu'excepté la partie métaphysique sur laquelle il n'est que trop aisé de disputer, l'on peut dire que M[onsieu]r de B[uffon] m'a cédé ; et les changements qu'il a fait en imprimant ses réfléxions, le prouvent bien. Je dirai seulement avant de faire mention de ces changemens, que M[onsieu]r de Buffon ne repliqua point dans l'Académie à ma réponse et qu'il se contenta de dire qu'il imprimeroit mes objections, si je publiois le memoire que j'avois lu à la rentrée.

L'année passée pendant qu'on imprimoit les memoires de 1745, je remis à M[onsieu]r de Fouchy le memoire que je devois inserer suivant la deliberation du comité, tenu au mois de [septem]bre 1748, et en l'imprimant je donnai à la partie mathématique l'ordre qui y convenoit sans ajouter aucune nouvelle recherche ; c'est une attention que j'eus non pour M[onsieu]r de B[uffon] qui ne m'avoit rien disputé de ce côté là ; mais parce que c'auroit été abuser de la permission qu'on m'avoit donnée, et manquer à M[onsieu]r d'Alembert qui observoit soigneusement la même chose à mon égard. Il étoit pour moi le seul dont je pusse craindre de blesser les interets, puisqu'il etoit le seul qui se fut véritablement occupé de cette théorie. On ne trouvera pas étonnant que je croïe ne devoir donner à M de B[uffon] aucune part dans la théorie de la Lune, lors qu'il n'y est que pour quelques réfléxions métaphysiques : Au reste s'il est choqué de quelques petits changemens que j'ai faits dans l'ordre de mes recherches, et dans la détermination numérique de quelques coefficients, je le prie de dire en quoi ils consistent, le rapport qu'ils peuvent avoir avec ce qu'il a dit, et ce qu'il veut que je fasse pour réparer le tort que je puis avoir eu à cet égard.

À l'égard des changemens que j'ai faits à la préface de mon mémoire, la seule partie que M[onsieu]r de B[uffon] ait luë et attaquée, ils consistent à avoir affoibli un peu les termes de mes assertions, surtout en parlant de Mr Newton, afin de me conformer à ce qu'on m'avoit conseillé dans l'Académie, et a avoir retranché un article où je promettois de donner dans le même memoire la forme de la loi que je substituois à celle du quarré. Comme je n'avois pas mis dans le mémoire la [!] pendant l'été 1747 les calculs par où j'avois entrepris de déterminer la forme de cette loi ; que je devois me contenter de donner dans ce mémoire ce qui m'avoit exactement été permis d'y imprimer, je retranchai cette annonce qui ne convenoit plus à ce qui suivoit.

Lorsque M[onsieu]r de B[uffon] fut revenu à Paris, il envoya aussitôt ses objections à M. de Fouchy, pour être imprimées dans le volume où étoit ma dissertation, mais ce n'étoit plus le même mémoire que celui qu'il avoit lu à l'Académie, et auquel j'avois répondu : On n'y trouvoit plus l'objection tirée de la comparaison de la force de la force [!] de gravité sur la Terre, à la force qui retient la Lune dans son orbite non plus que celle des comètes presentes et à venir qui devoient suivant M[onsieu]r de B[uffon] approcher assés du Soleil dans leurs périhelies pour démentir ma loy : Il avoit retranché de même l'article où il vouloit qu'on employât les mouvements d'apsides des satellites de Jupiter et de Saturne à verifier ma loi, tandis qu'on ne sçait point si elles ont une excentricité, ou du moins qu'on a jamais pu la déterminer. L'on voit encore que M[onsieu]r de B[uffon] a supprimé l'objection du mouvement d'aphélie que devroit avoir Saturne selon lui ; si le terme que j'ajoutois à la loi ordinaire avoit lieu, et cela apparemment parce que je lui avois prouvé que dans la distance de Mercure, la loi que je prenois ne donnoit pas de mouvement d'aphélie qui put être observé : Enfin l'objection tirée de la difference qu'on devoit trouver dans le coefficient du 2[n]d terme de ma loi, si l'on employoit pour le determiner la figure de la Terre, ou que l'on se servit du mouvement de l'apogée de la Lume a été retranchée pareillement. M[onsieu]r de Buffon n'avoit à la verité fait que soupçonner cette diversité de coefficients mais c'étoit beaucoup qu'un soupçon en comparaison de moi qui n'ait pu rien faire sur cette matière à cause de determiner de la Terre dans d'autres hypotheses de gravitation que celle du quarré des distances : on voit donc que de toutes les objections que M[onsieu]r de B[uffon] avoit faites contre la possibilité de ma loy il n'a laissé dans son memoire que les métaphysiques auxquelles il en a joint une nouvelle à laquelle je repondrai ci-après.

M[onsieu]r de B[uffon] ne s'est pas contenté de la supression de ces objections, il a encore abandonné l'idée qu'il avoit eu d'attribuer à l'inégalité de pesanteur des deux hémispheres de la Lune, le peu d'accord qui se trouvoit entre la theorie et les observations par rapport à l'apogée de la Lune ; celle de rendre la partie de la Lune que nous voyons allongée, ou celle que nous ne voyons pas applatie (cause qui feroit un effet contraire à ce qu'il se proposoit de démontrer:) Cette idée, dis-je, a été laissée avec la précédente, de même que son troisieme expedient qui étoit de supposer à l'exemple de Mr Newton, la Lune un spheroide entierement oblong pour causer le mouvement d'apogée cherché ce qui demanderoit, non un allongement de 98 pieds, comme celui que Mr Newton donne à la Lune ; mais un allongement considerable qu'on s'en apercevroit dans la libration.

L'article qui suivoit celui là, et dans lequel il expliquoit par les marées de la Lune, comment elle auroit pu acquérir une forme aussi irréguliere que celle dont il pouvoit avoir besoin, a disparu par la même raison.

Et quant à l'examen que M[onsieu]r de B[uffon] avoit fait de la part que devoit avoir M[onsieu]r de Calendrin [Calandrini] dans la remarque que j'avois donnée sur les apsides de la Lune, il n'en est pas resté le moindre vestige. Comme ce nouveau mémoire de M[onsieu]r de B[uffon] ne me fut remis que dans le temps où ma réponse étoit presque toute imprimée, je ne pouvois plus la rendre relative au mémoire de M[onsieu]r de B[uffon] D'ailleurs je n'aurois pas osé refondre comme lui tout ce que j'avois fait sans en parler à l'Académie, et, je ne cherchois qu'à éviter de prolonger une dispute qui me détournoit de mon travail, sans m'eclaircir sur aucun point. Il y a quelques jours qu'en allant chez M[onsieu]r de Fouchy pour voir l'état du volume de 1745, je jettai un coup d'œil sur les menoires qui le composent, et je vis avec le plus grand étonnement que M[onsieu]r de B[uffon] avoit fait une replique [(Buffon 45b)] à ma reponse [C. 34] sans qu'il en eut été fait la moindre mention dans l'Academie, et sans qu'il m'en eut communiqué la moindre chose : Il annonce dans cette piece que c'est la seule replique qu'il fera à mon memoire et assurément il prenoit bien les moyens de n'avoir pas à m'en faire une seconde, puisqu'il m'étoit impossible de répondre à des réfléxions que je n'avois pas vuës. Je parlerai dans le moment des nouveaux articles du memoire de M[onsieu]r de B[uffon]. En attendant je demande s'il a raison de me reprocher les changemens que j'ai faits dans mon mémoire, et s'ils ont pu lui donner lieu d'en faire d'aussi considerables que ceux qu'on trouve dans son mémoire imprimé : Enfin s'il a le moindre droit d'insinuer qu'il a eu part au nouveau résultat que j'ai trouvé en me servant de principes purement mathématiques, lui qui n'a pas souvent la bouche sur la partie géometrique de mon ouvrage, qui n'a regardé de tous ses moyens physiques que celui de la force magnétique citée avant lui dans l'Académie, et qui s'est retranché dans quelques points de métaphysiques (PV 1749, pp. 297-300).

Gallica

La lecture de ce mémoire avait débuté le 21 mai (cf. 21 mai 1749 (1)) et s'était poursuivie le 4 juin (cf. 4 juin 1749 (1)).

Suit (PV 1749, pp. 300-302) la réponse de Clairaut à (Buffon 45b), sensiblement différente de la version imprimée, « Réponse à la réplique de M. de Buffon », HARS 1745 (1749), Mém., pp. 578-580, alias C. 36 (Taton 76).

Buffon répond par (Buffon 45c), ce même 11 juin selon la date en marge du mémoire imprimée ou celle signalée dans le PV de la séance du 21, séance au cours de laquelle Clairaut donne sa nouvelle réponse (cf. 21 juin 1749 (1)).

Clairaut rend compte de ses péripéties dans sa lettre à Cramer du 26 juillet (cf. 26 juillet 1749 (1)).

Le comité de librairie examine C. 36 et (Buffon 45c) les 2 et 5 juillet (cf. 2 juillet 1749 (1), 5 juillet 1749 (1)).
Abréviations
Références
Courcelle (Olivier), « 11 juin 1749 (1) », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n11juin1749po1pf.html [Notice publiée le 31 juillet 2010, mise à jour le 11 décembre 2010].