Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


21 janvier 1764 (1) : Lesage écrit à Clairaut :
À M[onsieu]r Clairaut, dans une lettre à M[onsieu]r de Sauvigny, le 21e janvier 1764 ; dictée à M[onsieu]r [S[ain]t Flaivemer?], à cause mon mal aux yeux.

Monsieur,

Monsieur de Sauvigny m'a fait esperer que vous voudriez bien presenter au Journal des savans quelques unes de mes petites productions, et me permettre de vous consulter quelquefois. Regardant ce double avantage comme très precieux, j'aurais voulu le payer en quelque sorte par la communication d'un écrit plus interessant que ne peuvent etre les miens. C'est pourquoi je me suis informé de ce qu'etoient devenus les papiers optiques de feu M[onsieu]r Mégard, qui s'etoit fort occupé de ces objets sur lesquels vous venez de répandre une si grande lumière [C. 57, C. 58]. Mais j'ai appris qu'on les avoit déjà envoyés à Paris depuis quelques mois : ce qui me reduit à ne vous entretenir que de mes propres guenilles ; et nommément à present, de mes petits scrupules sur quelques principes souvent supposés en geometrie ou en statique.

Vous pourriez soupconner Monsieur ; que le plaisir de surprendre le grand Newton en faute, a contribué à me rendre si dificile sur cette forme d'arguement. Mais vous allez voir que si ma gloriole pouvoit y etre interessée ; elle etoit bien plus interessée d'un autre coté, à me rendre contant sur une pareille application du principe de raison suffisante à une nouvelle demonstration du principe de l'equilibre.

Soit un triangle equilateral ; inflexible, sans inertie et sans poids ; disposé horisontalement ; et librement mobile en tout sens sur son centre, que je suppose immobile ; que trois spheres de meme poids et volume ayent leur centre fixés aux sommets des angles de ce triangle. Il est evident que ce systeme restera immobile. Que par le centre de ce triangle, soit menée une parallele à l'un de ses cotés. S'il etoit permis d'en conclure que les spheres qui sont de part et d'autres de cette parallele, sont essentiellement en equilibre, comme leurs poids sont en raison inverse de leurs distances à cette parrallele ; il s'ensuivroit generalement, qu'il y aura equilibre entre deux poids doubles l'un de l'autre, toutes les fois que leurs disatances à l'axe de suspention sont sous doubles l'une de l'autre ; d'où l'on deduiroit aisement la meme proposition, pour tous les rapports quelconques. Mais voici une objection à faire contre une pareille demonstration. Lors meme que la loi de l'equilibre seroit toute differente de celle qu'on observe avoir lieu dans la nature ; pourvu qu'elle fut la meme dans des positions semblables ; il arriveroit toujours, que notre triangle resteroit en equilibre. Ce qui fait voir qu'une pareille demonstration seroit egalement propre à prouver une autre loi quelconque d'equilibre ; d'où il s'ensuit qu'elle n'en prouve aucune.

Si cependant vous pouviez Monsieur rendre, je ne sais comment, à cette demonstration la solidité qui lui manque, je crois, qu'elle ne seroit pas une des moins elegantes que l'on ait donné, du principe fondamental de la Statique. Voici un des moyens par lesquels je l'appliqueroit à tout rapports rationel. En doublant l'un des poids, et en reduisant sa distance à la moitié, successivement autant de fois que l'on voudra ; on demontrera le principe en question, pour le rapport d'une unité à une puissance quelconque de 2 ; ensuite, pour le rapport de la somme de plusieurs puissances quelconques de 2 à plusieurs autres puissances quelconques de 2, ce qui renferme le rapport de deux nombres entiers quelconques. Les rapports irrationels ; s'en deduiroient ; ou à la facon de la 3eme proposition du XIeme livre d'Euclide, ou simplement à la facon dont vous vous servez dans vos elements de geometrie [C. 21]. Voici une seconde maniere de generaliser le meme principe. Sur le contour d'un triangle equilateral, soient rangés en poids egaux et equidistans, dont 3 occuperont les sommets. Il est aisé de demontrer successivement sur chaque valeur de n, après avoir retranché de part et d'autre de l'axe d'equilibre tous les poids particuliers que l'on avoit demontré precedement etre en equlibre : que les poids qui resteront en equilibre après cette soustraction et quelques petites reductions ; feront entr'eux comme l'unité, est à 3n-1 est à l'unité ; pendant que leurs distances, font entr'elles, comme 3n-1 est à l'unité ; d'où l'on deduit aisément tout le reste. On pourroit sans doute varier cette demonstration ; en placant des poids, aussi dans l'interieur du triangle ; et meme, en en plaçant soit dans le contour soit dans l'interieur de quelques polygones. On pourroit enfin varier la forme de cette demonstration ; en la divisant en deux parties ; dans la premiere desquelles ; on prouveroit (en coupant le triangle obliquement par son centre) ; que deux poids égaux, peuvent etre substitués à un poids double de l'un deux, quand la somme de leur distance à l'axe de l'equilibre, est double de la distance de celui ci. On prouveroit dans la seconde partie, moyennant plusieurs pareilles substitutions successives ; que deux poids sont en equilibre ; lorsqu'ils sont entr'eux, comme l'nité est à un nombre impair quelconque ; et que leurs distances à l'axe de suspension, sont en raison inverse de ces nombres ; etc (Prevost 05, pp. 362-363) (BGE, Ms Supp. 517, ff. 167-169).

Celle lettre est la première pièce connue de la correspondance entre les deux hommes.

Clairaut avait entendu parler de Mégard en 1749 (cf. 23 décembre 1739 (1)), même s'il ne paraît plus s'en souvenir (cf. 24 avril 1764 (1)). Lesage lui résume sa vie et son œuvre (cf. 27 avril 1764 (1)), ce dont Clairaut le remercie sans toutefois vouloir en savoir plus afin de ne pas passer pour un plagiaire (cf. 23 mai 1764 (3)), ce que comprend Lesage (cf. 27 juillet 1764 (1)).

Clairaut répond à Lesage le 24 avril, mais fait curieusement allusion à un ouvrage de Stewart qui ne figure pas ici (cf. 24 avril 1764 (1)).
Abréviations
Référence
Courcelle (Olivier), « 21 janvier 1764 (1) : Lesage écrit à Clairaut », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/n21janvier1764po1pf.html [Notice publiée le 4 février 2012].