Alexis Clairaut (1713-1765)

Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765)


[c. juin] 1766 (1) : Parution du portrait de Clairaut, par Savérien :
Clairaut (Alexis), l'un des plus grands géomètres de ce siècle, naquit en 1711 [1713 !, cf. 13 mai 1713 (1)], de… Clairaut, habile maître de mathématiques. Depuis Pascal, personne n'a montré plus de dispositions pour les mathématiques. À l'âge de douze ans, il écrivit comme ce grand homme sur les sections coniques, et à seize ans il composa des Recherches sur les courbes à double courbure [C. 1] qui auraient fait honneur au mathématicien le plus profond. Des productions si belles en elles-mêmes, et si extraordinaires pour un enfant de cet âge, le firent regarder comme un prodige. On le fêta de toutes parts, et il n'avait pas encore vingt ans qu'il fut reçu à l'Académie des sciences [cf. 14 juillet 1731 (1)]. On pensait alors dans cette Académie à connaître la figure de la Terre par la mesure de deux degrés du méridien, l'un à l'équateur, l'autre au cercle polaire. Deux compagnies partirent à cet effet pour se rendre dans ces endroits. Celle qui alla au Nord crut devoir s'aider des lumières de notre jeune géomètre. Elle l'emmena avec elle et en retira les plus grands services [cf. 3 septembre 1735 (1)]. Il justifia aisément la bonne opinion qu'on avait de lui, et bientôt après il étendit sa réputation par des ouvrages très savants sur la géométrie. Le goût pour cette science qui s'était manifesté de si bonne heure devint désormais un goût exclusif pour toute autre connaissance. Il résolut de le suivre, sans se permettre d'ailleurs la moindre distraction. Le nouveau calcul des infiniment petits piqua surtout sa curiosité. Il y avait alors très peu de géomètres en France qui entendissent parfaitement ce calcul. Clairaut avait assez de sagacité pour l'étudier lui-même et pour y faire des progrès, mais il craignait de n'en pas saisir toutes les finesses. Dans cette perplexité, M. de Maupertuis lui offrit de le mener chez Jean Bernoulli [Jean I Bernoulli], l'un des inventeurs de ce calcul, pour le prier de le mettre sur la voie [!]. Il accepta avec joie cette offre et demeura chez ce grand mathématicien jusqu'à ce qu'il s'en fut rendu tous les artifices très familiers [cf. 10 septembre 1734 (1)]. De retour à Paris, il se hâta de mettre des instructions à profit. Il composa plusieurs beaux mémoires, où il employa le calcul différentiel et intégral avec beaucoup de supériorité. Il perfectionna même le calcul intégral en donnant un moyen de connaître si une différentielle est intégrable ou non [C. 28]. Son dessein était de se servir des nouveaux calculs pour perfectionner le système de Newton qu'il avait adopté. On ne pouvait choisir un plus beau champ pour faire briller des connaissances géométriques. Newton n'avait point calculé le mouvement de l'apogée de la Lune. Notre géomètre jugea ce travail digne de lui. Il trouva d'abord l'équation de la courbe que décrit la Lune, et il crut reconnaître que si la loi de l'attraction suivait exactement le rapport renversé du quarré des distances, l'apogée ne ferait une révolution qu'en dix-huit ans, et elle la fait en neuf. D'où il conclut que la loi de l'attraction ne suit pas tout à fait le quarré des distances inverses, mais celle des quarrés plus une certaine fonction de ces quarrés, où même d'une autre puissance de ces distances.

Cette découverte portait un coup trop préjudiciable au système de Newton pour ne pas alarmer les Newtoniens. L'un d'eux, nommé Don Wanmesley [Walmesley, cf. 26 juillet 1749 (2)] prétendit que Clairaut s'était trop pressé de rectifier la loi de l'attraction. Il examina ses calculs, et crut qu'il y avait de la méprise. Il composa là-dessus un écrit [(Walmesley 49)] pour mettre cette méprise au jour. M. de Buffon se joignit à Don Walmesley, et voulut justifier par des raisonnements métaphysiques, la loi de l'attraction, telle que Newton l'avait établie [(Buffon 45a), (Buffon 45b), (Buffon 45c)]. Notre géomètre répondit à ces critiques [C. 34, C. 36, C. 37], et corrigea son calcul et ses conclusions [!].

Des mémoires curieux qu'il publia sur la dynamique préparèrent en quelque sorte un nouveau travail sur le système newtonien. Il fut un des premiers mathématiciens de l'Europe qui résolut le problème des trois corps [C. 33]. On appelle ainsi un problème où il s'agit de déterminer la courbe que décrit un corps par l'action de deux autres en mouvement. La solution de ce problème le mit en état de tenter la solution d'un autre problème encore plus difficile : c'était de fixer le temps de retour de la comète de 1759. Il fit à cet effet un travail prodigieux, mais ses calculs, quoi que très exacts et très multipliés, annoncèrent le retour de la comète trois mois trop tard ; au lieu que ceux de Halley s'accordèrent fort bien avec l'évènement [!]. Il est vrai que Clairaut avait fondé ses calculs sur l'attraction mutuelle des corps, et dans cette hypothèse qui n'était qu'une hypothèse, il était dans ses calculs une infinité d'éléments, tandis que Halley s'était borné à un calcul purement géométrique.

Dans le temps qu'il était occupé à ce travail, il fut chargé de travailler au Journal des sçavans. C'était en 1755 [cf. 19 novembre 1755 (1)]. Je ne sais pas s'il me convient de dire que c'était une place que j'avais eue en 1752, que différentes manœuvres m'avaient fait abandonner, et que M. Bouguer qui s'en était emparé la même année, et qui devait me la rendre, avait profité du temps où je fus en Provence pour la céder à notre géomètre ; mais je dois écrire qu'il remplit ma place parfaitement bien. Ses extraits de livres de haute géométrie (car il n'en faisait pas d'autres), sont très estimés et méritent de l'être.

En 1751, l'Académie de Pétersbourg ayant proposé pour prix la cause des inégalités du mouvement de la Lune, Clairaut composa une pièce [C. 39] qui fut couronnée, dans laquelle il déduisit de l'attraction la théorie de cette planète secondaire. Son travail, et celui qu'il avait fait sur la comète de 1759, furent un sujet de dispute avec M. d'Alembert. Notre géomètre était sensible et aimait assez la vérité pour la défendre avec chaleur. Il prenait donc un vif intérêt à ses sentiments, lorsqu'il croyait être fondé à les soutenir. C'est ce dont j'ai été moi-même témoin.

M. Muller, professeur de mathématiques à l'École royale de l'artillerie de Wolvich, m'ayant prié de veiller à l'édition de son Traité analytique des sections coniques, fluxions et fluentes etc., je trouvai dans cet ouvrage des remarques sur la théorie de la Terre de M. Clairaut. Comme je connaissais sa sensibilité, je ne crus pas devoir laisser imprimer ces remarques sans lui en faire part. Il en fut très touché, et me fit l'honneur de m'écrire une lettre, où il répondit à M. Muller, en me priant de la faire imprimer à la fin de son livre Traité analytique des sections coniques etc. Quoique M. Muller fut très maltraité dans cette lettre, je ne crus pas devoir refuser cette satisfaction à notre géomètre, et je me contentai d'y mettre une petite note pour me justifier envers M. Muller, laissant du reste le public juge de ce différend [cf. [c. 1759] (1)].

Je ne sais pas comment les anglais, et M. Muller en particulier, accueillirent cette réponse, mais Clairaut ayant voulu concourir au prix des longitudes, que les anglais ont promis à ceux qui donneraient une solution approchée de ce problème, reçut une mortification à laquelle il fut très sensible. Il s'agissait pour cette solution d'avoir des tables exactes du mouvement de la Lune. M. Mayer en avait envoyé [(Mayer 52)] à la Société royale de Londres, qui avaient été fort accueillies et bien récompensées. Notre géomètre crut qu'on pouvait avoir des tables plus exactes encore que celles de M. Mayer. Il en calcula de nouvelles [C. 412] et, persuadé de leur bonté, il les adressa à la Société royale [cf. 10 avril [1765]]. Mais on n'en pensa pas comme lui. Ces tables lui furent renvoyées sans récompense [!]. Il fut très affligé par cette sorte de refus. On dit même que le chagrin qu'il en eût influa sur sa santé. Une fièvre se joignit à cette indisposition, et le conduisit en huit jours au tombeau. Il mourut au mois de mai de cette année 1765, âgé de cinquante-trois ans et quelques mois [cf. 17 mai 1765 (1)].

Clairaut était bon et obligeant. Quoiqu'il fût naturellement froid, il aimait assez à rendre service. Il avait appris à peindre, et il faisait passablement le paysage ; mais on voyait bien que son imagination ne secondait pas son pinceau. Elle ne le servait que dans le calcul qui l'avait rendu presque insensible à toute autre connaissance. Aussi faisait-il un cas infini des géomètres purs ou des calculateurs et les plaçait sans façon au premier rang des hommes de génie (Savérien 66, pp. 495-500).

Ce portrait approximatif déclenchera une réaction de [Dionis du Séjour] (cf. [c. juin] 1766 (2)).

Mis en cause, Lalande interviendra de son côté (cf. 26 septembre 1766 (1)).

Dans la seconde édition de son ouvrage, Savérien mentionnera avec bienveillance un travail de Dionis du Séjour (Savérien 76, p. viii), mais reproduira son portrait sans changement, à l'exception de l'ajout de quelques lignes après l'évocation de la fièvre qui conduisit Clairaut « en huit jours au tombeau » :
C'est une simple opinion, qui ne saurait nuire à la réputation de cet illustre géomètre ; seulement elle prouverait son extrême sensibilité à la gloire ; et tout le monde sait que l'amour de la gloire est la passion des grands hommes. Il eut la douce satisfaction d'avoir auprès de lui, pendant sa maladie, ses amis et ses bienfaiteurs, qui n'oublièrent rien pour le consoler ; et je dois nommer ici, pour combler son éloge, une personne de distinction, qui protège les sciences avec autant d'éclat que de succès (M. Trudaine de Montigny), et qui ne le quitta que lorsqu'il eut entendu les derniers soupirs (Savérien 76, p. 513).

Abréviations
Références
Courcelle (Olivier), « [c. juin] 1766 (1) : Parution du portrait de Clairaut, par Savérien », Chronologie de la vie de Clairaut (1713-1765) [En ligne], http://www.clairaut.com/ncocjuincf1766po1pf.html [Notice publiée le 11 septembre 2011].